La Cité de l’agriculture se penche sur les questions de foncier
Jean-Baptiste Rostaing, revient pour agri-city.info sur la journée de dialogue sur le foncier* dans la région de Marseille. L’objectif était de permettre un échange entre 60 étudiants agricoles issus de CFPPA ou BPREA, et les structures clé du secteur.
Comment est née l’idée d’un dialogue sur le thème du foncier ?
Dans le cadre du projet "Cities2030", nous avons découvert une méthodologie de dialogue créée par l’ONU intitulée "Food Systems Summit Dialogues". L’objectif est d’encourager des initiatives de dialogue sur un temps défini - allant jusqu' à un jour et demi- en regroupant des acteurs d'horizons variés pour explorer un sujet nourricier. Nous voyons ainsi émerger des solutions émanant des acteurs du secteur, y compris de ceux qui ont un moindre poids dans les prises de décisions. Nous nous sommes spontanéméent tourné vers le foncier qui concerne une part importante de nos activités.
Justement, quelle place tient le foncier dans vos activités ?
Nous menons des études conséquentes autour du foncier afin de trouver des méthodes pour l’identifier et le cartographier, en partenariat avec la Métropole Aix-Marseille, la ville de Marseille, et l’Agam**, pour recenser les territoires de friche. Notre but est d’œuvrer pour une animation qualitative de ces espaces, et de rendre visible la rétention foncière. La rareté du foncier est manifeste et donne lieu à des conflits d’usage particulièrement exacerbés. Les prix restent sous contrôle grâce à la Safer*, et sont corrects en comparaison de ceux pratiqués par nos voisins européens.
Depuis deux ans, nous travaillons sur ce sujet d’identification foncière et sur la façon dont nous pouvons mettre en lien les personnes souhaitant s’installer et les propriétaires ayant des terrains en friche. Par notre activité d’animation du réseau d’agriculture urbaine, nous sommes en relation avec un ensemble de personnes dont le projet ne peut se réaliser du fait du manque de disponibilité de foncier. C’est le frein principal au lancement de l’activité. Nous avons donc un « gisement » de porteurs de projets en attente.
Pourquoi ces porteurs de projet ne sont-ils pas prêts à s'éloigner davantage de la ville,
Les porteurs de projets souhaitent s’installer dans des zones urbaines ou périurbaines. La proximité de la ville est en effet un besoin pour ceux qui ne sont pas issus du monde agricole et décident de se lancer. Cet aspect est problématique car des terrains sont ouverts en campagne, dans la région de la Sainte-Baume ou dans le Luberon par exemple. Cependant, ces jeunes agriculteurs, qui ont souvent un conjoint et des enfants, posent un choix de vie important et ont besoin d’accompagnement. Nous avons mené une étude sur les 30 personnes accompagnées depuis 3 ans par notre incubateur nourricier et constaté qu’une installation très proche du centre urbain, même quand elle est temporaire, est une étape clé de la transition vers une installation plus pérenne et plus éloignée de la ville. Elle permet d’acquérir un modèle économique stable et des compétences techniques.
La Cité de l’agriculture soutient donc l’émergence d’un espace test en archipel au plus près des villes afin de permettre à ces porteurs de projet d’acquérir une expérience de 3 à 7 ans avant de se lancer dans des dynamiques d’installation plus classiques. Du fait de la pression foncière exacerbée que nous rencontrons à Marseille, nous avons depuis longtemps laissé tomber l’idée d’un espace test partagé regroupé sur un lieu unique.
Quels ont été les termes de vos échanges ?
Nous avons permis la rencontre avce les acteurs de ces sujets : La Safer, Terre de Liens**** et la Métropole Aix-Marseille. Il fallait créer un cadre original afin que ce dialogue ne soit pas une discussion descendante. Nous avons donc mis en place des tables rondes avec des axes particuliers en prêtant attention aux ressentis des étudiants et à leurs opinions sur les différents types d’installation possibles.Avec Terre de liens, l’accent était porté sur la location. Avec la métropole, nous nous sommes concentrés sur le sujet des installations auprès de collectivités, y compris de taille inférieure Si la métropole apporte de la sécurité et stimule les débouchés commerciaux, elle est aussi associée aux lenteurs administratives. Enfin, la Safer a partagé avec les étudiants des informations sur son mode opératoire : Comment et à quel moment d’un parcours d’installation la sollicite-t-on ? En quoi cette institution, souvent perçue comme abstraite ou embarrassante, peut au contraire être un allier dans le projet d’installation ?
Quelles idées clé ont émergé de ce dialogue ?
L’objectif était d’aboutir à plusieurs doléances qui soient activables en termes de politiques, ce sujet du foncier étant particulièrement sensible comme le montrent les débats sur la mise en place du ZAN*. Nous avons relevé et synthétisé ces requêtes. Les participants ont souligné l’aspect très concurrentiel des appels à candidatures pour des installations sur du foncier de collectivités publiques. Ceux-ci sont perçus comme des « perles rares ».Certains porteurs de projet se retrouvent bloqués du fait d’arbitrages politiques et de contraintes temporelles qui ne correspondent pas aux leurs. Nous avons noté une frustration liée au décalage entre l’échelle de temps du monde politique et celle d’un parcours d’installation.La Métropole propose divers accompagnements aux agriculteurs urbains notamment pour l’installation. Ces dispositifs gagnent à être connus des élèves. Ce dialogue a mis en évidence les nombreux avantages liés au partage foncier et aux autres dynamiques de collectif, au-delà même de notre région. Cela permet par exemple de briser la solitude du métier et de prendre des vacances. Ce sont des éléments essentiels qui permettent un rythme de travail plus soutenable et plus proche de celui des citadins.
Les échanges ont permis de souligner l’attention particulière qu’impliquent les profils en reconversion. Ces personnes ont des exigeances plus élevées en matière d’équilibre de vie et de rémunération en accord avec l’expérience qu’elles ont du monde professionnel. Cela doit être pris en compte dès le début pour évier les désillusions ou un arrêt de l’activité après un an ou deux. Le monde agricole classique exprime des craintes légitimes à ce sujet et nous avons à cœur de promouvoir une installation raisonnée.
La reconversion de personnes pleines de bonne volonté fait partie des solutions à la crise agricole actuelle. En effet, le monde rural impose de rudes conditions de vie qui incitent les fils et filles d’agriculteurs à se tourner vers d’autres métiers que leurs parents. La réconciliation des mondes citadin avec et rural apporte des solutions qu’il faut accueillir tout en prenant en compte les doutes des institutions agricoles classiques. Il s’agit de construire une adéquation entre ce nouveau potentiel et la réalité agricole et foncière.
**CFPPA (Centre de Formation Professionnelle) et BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise) : Les élèves venaient du Lycée Agricole Aix-Valabre, du Campus Nature Provence, du Lycée Agricole Saint-Rémy, et du Lycée des Calanques.
***Agam : Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise
****Safer, Société d’aménagement foncier et d’établissement rural
L'association a été créée en 2015 dans l'objet d’accompagner et de massifier la transition sociale et écologique des villes et des territoires. Elle s'appuie sur quatre grands groupes d’activité : des expérimentations liées à la recherche dans le cadre duquel nous déployons des projets comme la Ferme Capri et l’épicerie mobile pour certains quartiers prioritaires du nord de Marseille. Mais aussi la création de réseaux d’entraide entre des acteurs de l’agriculture urbaine avec le soutien de l’ADEME* , le partage d’outils, échanges de besoins, d’informations. Enfin, un troisième pôle est consacré à la formation et un dernier à l’évènementiel.
Nous agissons en partenariat avec des acteurs et actrices très diversifiés que nous cherchons à faire dialoguer jouant un rôle d’agent liant, créateur de dynamiques. A ce titre-là, nous sommes lauréats du projet européen de recherche et d’innovation Cities2030*
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