Végétalisation : Pourquoi toutes les « natures » ne sont pas aussi bénéfiques pour les citadins ?
Les parcs et jardins urbains ne contribuent que modérément au bien-être psychologique des citadins, selon un article paru dans The Conversation. Une analyse menée par Florence Allard-Poesi et Justine Massu de l'Université Paris-Est Créteil Val de Marne et Lorena Bezerra de Souza Matos de l’Université Gustave Eiffel, confirme qu’en la matière, rien ne vaut les espaces naturels que sont les bois, les prairies, voire les balcons végétalisés.
Si vagues de chaleur, pics de pollution et confinements successifs contribuent à nous faire collectivement prendre conscience de l’importance de la nature – et en particulier du végétal – pour le bien-être du résident en ville, la question des « types » de nature présents en ville et de leurs effets n’a été que rarement explorée. La culture des plants de tomates cerises sur le balcon induit-elle les mêmes bénéfices, en matière de bien-être, qu’une flânerie dans un jardin public ? Cette promenade aura-t-elle des effets similaires à ceux d’une balade en forêt ?
Bien-être et nature en ville.
En septembre 2020, nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon représentatif – en termes d’âge, sexe, niveau de revenu et lieu de résidence – de 2500 personnes de plus de 15 ans habitant en France en zone urbaine de densité forte à intermédiaire. Un des objectifs de l’enquête était de mettre à l’épreuve une modélisation de l’influence de la nature à proximité du lieu de résidence sur le bien-être des habitants en ville. Suivant là l’OMS, nous avons retenu une conception holistique du bien-être comme qualité de vie et utilisé le questionnaire de l’organisation pour le mesurer. Dans cette perspective, le bien-être est défini à partir d’un ensemble de dimensions incluant notamment le ressenti émotionnel et cognitif, mais également physique – ne pas ressentir de douleurs, se sentir plein d’énergie par exemple –, et social de la personne, ainsi que son appréciation de la qualité de son environnement de vie et du niveau de ressources – en termes financiers, temporels, informationnels en particulier – dont elle dispose. Comprenant 88 questions, le questionnaire interrogeait successivement le répondant sur son bien-être au cours de la dernière semaine, la qualité et le « type » de nature la plus proche de son lieu de résidence – du balcon agrémenté de fleurs ou d’un potager, à la forêt –, sur sa fréquence d’exposition à différents types de nature – de la vue d’éléments naturels au visionnage d’un film intégrant de tels éléments –, et sa régularité dans des activités plus ou moins intenses – de la sieste à la course à pied – dans la nature, – et ce, toujours au cours de la dernière semaine.
Quelle nature en bas de chez soi ?
Quoique prenant en compte l’influence du revenu, de l’âge et de l’état de santé des répondants – facteurs dont on sait qu’ils ont une influence déterminante sur le bien-être –, la modélisation par équations structurelles montre une association des caractéristiques perçues de la nature à proximité du lieu de résidence au bien-être des habitants en ville. L’environnement de nature, qu’il s’agisse d’une promenade plantée, d’un jardin public ou d’un bois – dès lors qu’il est évalué comme sûr, esthétique, bien entretenu, propre et doté d’aménagements adaptés – contribue à une appréciation positive de l’environnement du lieu de résidence, mais également de la santé physique et des « ressources » dont on dispose. En favorisant les activités physiques dites douces ou contemplatives – observer la nature, flâner, se reposer, retrouver des amis, sortir le chien par exemple – la qualité de ces espaces participe aussi indirectement au bien-être psychologique en réduisant le stress et en encourageant les contacts sociaux et la joie de vivre.
Une évidence qui mérite d’être rappelée.
Publiés dans Health & Place, ces résultats, qui confirment un rapport de l’OMS de 2016 sur la santé des résidents en ville, peuvent sembler évidents : oui, un parc bien entretenu, sûr, agréable à regarder est bien plus favorable au bien-être qu’un terrain vague abandonné aux pissenlits et aux détritus plastiques. Celles et ceux circulant d’une ville à l’autre remarqueront cependant qu’un tel rappel n’est sans doute pas inutile, étant par ailleurs entendu que cet entretien a un coût et peut donc passer derrière d’autres priorités bien plus urgentes. Ce premier résultat quant à l’importance des caractéristiques de la nature à proximité du lieu de résidence pointe vers un autre résultat, celui-là moins attendu : non, toutes les natures ne se valent pas.
Forêt urbaine ou tomates cerises sur le balcon ?
Les réponses des sondés sur les « types » de nature présents à proximité de leur lieu de résidence en ville ont fait apparaître trois types d’environnement : une nature « de proximité », celle de la terrasse, du balcon agrémenté de fleurs ou d’un potager, ou du jardin sur le toit ; une nature « domestiquée » comprenant les parcs urbains, les jardins publics, les aires de jeux ; et une autre peu ou moins « domestiquée » enfin, celle des forêts, des bois, des prairies ou encore des broussailles de bord de route. Certes, ces trois environnements favorisent l’exposition à la nature, elle-même facteur de bien-être ; mais la contribution des parcs et jardins apparaît bien plus marginale que celle des natures de proximité ou moins domestiquées. Forêts, bois et prairies poussent, comme la présence d’un balcon ou d’une terrasse agrémentée de plantations, à des activités douces et contemplatives dans ou avec cette nature, et contribuent ainsi au bien-être psychologique. Ce phénomène n’est pas constaté avec autant d’ampleur pour les parcs, jardins et espaces de jeu en ville. Sans être absents, ces effets restaurateurs dans ces espaces sont sans doute atténués par la forte fréquentation dont ils bénéficient. Avec la limite liée à l’échantillon lui-même – si vous avez moins de 15 ans, l’accès aux parcs et jardins en ville participe sans aucun doute pleinement à votre bien-être –, ces conclusions encouragent tant les projets de forêts urbaines… que la culture de tomates cerises sur votre balcon, si vous avez la chance d’en avoir un.
Cette analyse a été rédigée par Florence Allard-Poesi, professeur des universités en Sciences de Gestion à l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC), Justine Massu, docteur en Psychologie des Organisations à l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Lorena Bezerra de Souza Matos, maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Gustave Eiffel. Les trois rédactrices ont reçu des financements de l’ANR et la société Eiffage dans le cadre du projet E3S soutenu par l’Isite Future.
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.
Photo agri-city.info