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Lettre à de jeunes responsables d’un service espaces verts et naturels

thumbnail_IMG_20240331_133750 N’oublie pas cependant d’être un créateur, un artiste et d’embellir ta ville.

Patrick Lafforgue*, ex directeur du service Paysage et Nature de la ville de Narbonne a adressé une lettre à ses jeunes collègues responsables des services espaces verts et naturels, suite à la journée à Gruissan sur "l'évolution du métier et des pratiques du jardinier organisée par Hortis**. 

"Cher/Chère Collègue,

Merci d’être la relève de plus de 40 ans de vie active au sein de deux collectivités (Toulouse 28 ans et Narbonne 12 ans) ( ...) Tu es un passionné des espaces verts et du végétal. Tu veux coordonner des équipes et mettre en place une politique paysagère prospective pour une amélioration du cadre de vie et une intensification du patrimoine vert. Ta mission et celle de tes collaborateurs ont un impact direct sur la qualité de vie des citoyens et sur l’environnement. Les services espaces verts et natures en ville sont les acteurs principaux de la transition écologique des collectivités. Tu travailles en transversalité avec les autres services pour répondre aux objectifs définis par l’équipe municipale. Tu gères en complément les tâches administratives et financières du service. N’oublie pas cependant d’être un créateur, un artiste et d’embellir ta ville.
Dans un contexte de dérèglement climatique, d’urgence écologique et de développement technique, le jardinier tient plus que jamais un rôle essentiel, en phase avec l’évolution de la société. Il n’est pas seulement, l’agent qui entretient le jardin. Son métier comporte de multiples facettes. Tu dois le soutenir, l’aider, le motiver, dans un contexte difficile : manque d’effectif, bas salaire, agression et insécurité sur la voie publique, évolution permanente de nos actions…Notre domaine technique est vaste et il est nécessaire que tu sois accompagné par des experts pour t’assister. Tu ne seras pas bon pour tout et tu dois rester humble devant la complexité de notre métier. Notre métier ne comporte pas qu’une vérité et celle d’aujourd’hui ne sera peut-être pas celle de demain. Nous côtoyons beaucoup de contradictions (planter gros, nature contre l’usage, ne pas arroser et réduire l’eau verte, abattage d’arbres pour des raisons de confort…
Tu devras faire face à de nombreuses difficultés, et si les difficultés techniques se résolvent par apprentissage et en se faisant aider, d’autres sont plus humaines. Le management des agents est compliqué et même quelquefois désespérant, quand ils ne sont pas motivés. Si le choix des embauches est primordial, il n’est pas toujours efficace. Tu n’as pas de carotte à donner et le bâton peut se retourner contre toi. Tu dois donner ta confiance (ce qui n’exclut pas le contrôle) et certains te trahirons (ambition, jalousie, frustration ou simplement toxique). Tu dois motiver les agents en leur transmettant ta passion et ta volonté de travailler pour eux et avec eux, pour nos concitoyens dans une démarche de développement durable.
Les financrates qui gèrent actuellement nos collectivités, te demandent de justifier toutes tes dépenses et choix de gestion. D’avoir un investissement subventionné pour que l’argent de la collectivité soit abondé X2 fois X 5 par les autres administrations. Ils ne comprendront donc jamais que le coût de la crise écologique sur la collectivité sera infiniment plus élevé que le budget d’un service espaces verts et nature en ville.

Nous avons toujours des freins pour devenir de meilleurs jardiniers et pour évoluer.

L’habitude, la routine, la planification et le savoir empirique pas toujours de qualité. La non remise en cause de nos pratiques et le défaut d’évaluation récurrent. Le frein culturel, qui nous dit que la ville doit être hygiénique et « propre » au contraire de nos campagnes et de nos forêts qui sont sales et dangereuses. Au contraire de la Nature.
Le métier de jardinier a connu des évolutions significatives ces dernières années pour répondre aux enjeux de notre siècle. Et il continuera à évoluer, peut-être même plus rapidement. La crise sanitaire a remis en question nos méthodes. Elle a également renforcé notre lien avec la nature. Les Français sollicitent davantage les espaces verts et naturels, ce qui souligne l’importance de notre rôle. Les catastrophes naturelles récurrentes nous rappellent l’urgence de mettre en œuvre des solutions vertes basées sur la nature pour faire face au changement climatique. De plus, la relance verte soutenue par le gouvernement et l’extension récente de la loi Labbé ont bouleversé nos pratiques en tant que jardiniers. Nous devons intégrer le végétal comme une réponse aux problématiques urbaines telles que la sècheresse (eau verte) la pollution et les îlots de chaleur. Plantons petit, plantons diversifiés en essence (travaillons plusieurs palettes, horticole, local, exotique…) et en strates (arbre, arbuste, vivace) pour créer des écosystèmes résilients.
La demande sociétale est aussi d’avoir de la couleur en ville, d’avoir des gazons arrosés et tondus, où l’on puisse s’allonger, s’assoir, jouer, se rencontrer…Ne perdons pas la notion de l’esthétique, de l’usage et de la fonctionnalité.
Allez de l’avant, même si vous aurez des regrets : de ne pas en faire plus par manque de moyens alloués, de ne pas avoir réalisé plus de projets paysagers, de ne pas avoir fait planter plus d’arbres , de ne pas avoir trouvé les clefs pour motiver certains agents (peut-être qu’elles n’existent pas et que vous perdrez de l’énergie à les chercher), ne pas avoir suffisamment convaincu la direction et les élus d’une démarche globale d’amélioration du cadre de vie et de préservation de l’environnement (qu’ils arrêtent de focaliser sur la petite herbe ou sur l’arbre qui fait tomber ses fleurs dans une piscine).
Mais aussi plein de belles choses : de la création d’un tableau floral à la végétalisation d’une ZAC, les plantations que vous verrez s’épanouir, un essaim d’enfants sur une aire de jeux, la coordination d’un service et le travail avec les autres services et surtout, surtout la richesse des rencontres... Parmi les conseils professionnels que je pourrais donner à un(e) jeune collègue, l’un des plus important est de toujours rester ouvert et humble. (....)
Vous les jeunes qui voulez bien vous hasarder dans ce noble métier et dans cette belle aventure au service de tous, comprenez que notre métier a du sens pour le bien-être et la santé de nos compatriotes.

Notre métier a du sens pour lutter contre le dérèglement climatique, pour la préservation de la biodiversité et pour sublimer la nature.

Répondez à ces objectifs sans perdre ces notions de fleurissement, d’embellissement et de qualité de vie. Soyez les gardiens d’un savoir-faire empirique : L’art et l’histoire des jardins…Apprenez les bases de notre métier qui est avant tout manuel et qui nécessite d’avoir les bons gestes issus du bon sens Paysan (avoir les pieds et les mains dans la terre). Vous devrez concilier la renaturation et les besoins des habitants. La ville ne sera pas que Nature et elle ne doit pas être un espace compensatoire de la destruction de la vie des campagnes (sol inerte et uniquement support de culture, haies arrachées, biodiversité menacée, pollinisateurs, oiseaux…) et des forêts (monoculture) commise par une agriculture intensive.Vous voyez que les gouvernements, malgré les avis des scientifiques (GIEC, COP…), vont droit dans le mur de plus en plus vite.
Vous avez le droit de faire des reproches aux anciens, oui nous avons trop tardé, mais c’est à vous de défendre aujourd’hui votre vie et celle des générations futures sur cette terre".

Meilleures salutations,

*Patrick Lafforgue formateur, consultant et site patrickjardindeville.com nous donne l'autorisation de partager sa missive

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