Cécile Basset s'intéresse au concept de santé et sécurité des sols
Céline Basset possède une expertise dans le domaine du microbiote du sol. Ses travaux qui se situent à l'intersection de l'agriculture, de l'environnement et de la gestio mettent en lumière l'importance du sol au sein des stratégies de sécurité alimentaire et de sécurité nationale.
Vous étudiez le “microbiote du sol”. Pourquoi avez-vous choisi de vous pencher sur ce sujet ?
Il y a dix ans, j’ai été confronté à une infection du microbiote intestinal, ce qui a marqué un tournant majeur dans ma vie. Cet évènement m’a conduit à explorer les sciences du sol et les sciences de gestion. C’est à cette occasion que j’ai découvert les liens entre le microbiote du sol et celui de l’intestin des humains et des animaux. Puis à force d’explorer les sols avec mon microscope, j’ai également constaté qu’ils s’étaient appauvris de leurs habitants. Avec cette expérience et mon travail sur le terrain, j’ai décidé de placer la santé des sols, et plus largement le sol dans toutes ses dimensions, au cœur des stratégies visant à garantir la sécurité alimentaire ainsi que la stabilité nationale et internationale. Mes travaux de recherche sont donc interdisciplinaires et se combinent les sciences de gestion et les sciences du sol.
Quels sont les enjeux sur la sécurité et la stabilité nationale comme internationale ?
Le sol reste aujourd’hui négligé malgré sa fonction majeure pour le maintien de la vie terrestre. Il joue un rôle important dans la stabilité sociale face aux vulnérabilités systémiques telles que la rupture des chaînes d'approvisionnement (Covid19, 19 juillet 2024), les conflits d’usages (raréfaction de l’eau, sécheresse sur le territoire), l'inflation, la dépendance agricole aux intrants, les tensions géopolitiques et l’amplification des perturbations climatiques.
Actuellement dans les pays industrialisés, huit menaces principales affectent les sols. L’ensemble de ces perturbations entraîne une dégradation des sols provoquant une perte de leurs fonctionnalités (production de biomasse, cycle des nutriments, eau etc) et par conséquent une perte des services rendus par le sol à nos sociétés. Cela se manifeste généralement par une baisse de la productivité agricole, une diminution de la capacité du sol à infiltrer et stocker l'eau, ainsi qu’une perte de biodiversité souterraine de ses capacités de résilience face aux risques et menaces contemporains. Mais également par une perte des services relatifs à l’urbanisation durable et aux infrastructures, des services culturels (archives, valeur historique, notion de terroir), des services récréatifs (randonnées).
Ainsi, la pluralité des risques s’accroît à mesure que le sol perd ses fonctions. La mission régalienne de garantir la sécurité alimentaire est désormais menacée, notamment lorsque l’agriculture dépend des chaînes d’approvisionnement, tant pour le volet productif que pour la structuration économique des filières agricoles. Comme le met en lumière la littérature scientifique et le pionnier dans la sensibilisation Mr. Linou, les liens entre la sécurité alimentaire et la stabilité nationale sont intrinsèques dans l’ensemble des pays industrialisés.
La protection des sols s'impose donc comme une priorité urgente, nécessitant l'attention des décideurs politiques et l'engagement de l'ensemble des acteurs de la société. Pour cela, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols, vise à établir un cadre harmonisé pour réaliser trois objectifs : déjà, évaluer l’état de santé des sols, ensuite, prévenir leur dégradation et enfin, promouvoir leur restauration. A travers cette directive, l’Europe s’invite donc dans les territoires des Etats membres afin de collecter des descripteurs de la dégradation des sols dont la biodiversité souterraine fait partie.
Pourquoi l'importance du sol va au-delà de la notion de santé et de sa productivité agricole.?
Récemment, l’importance autour des enjeux du sol s’est principalement axée sur le concept de la santé des sols et a donné lieu à la Directive européenne susmentionnée, dans laquelle des efforts communs et des coopérations entre territoires et états membres doivent être coordonnés pour établir un diagnostic des sols européens basé sur plusieurs descripteurs.Cependant, l'importance du sol va bien au-delà de la notion de santé et de sa productivité agricole. Le cadre conceptuel de la « sécurisation ou sécurité des sols » propose une compréhension plus élargie du sol directement liée à cinq dimensions clés définies par un consensus scientifique international, sous le nom de « Soil Security »
Les deux premières dimensions « Capacité » et « Condition » sont en lien direct avec la santé du sol, qui peut être évaluée à travers une pluralité de descripteurs tels que les indicateurs physico-chimiques et la biodiversité souterraine. La dimension « Capital »se rapporte à la valeur économique et financière d’un sol et concerne les acteurs de l’immobilier, du foncier et des assurances. La dimension « Connectivité » fait référence aux connaissances sur le sol que peuvent posséder l’ensemble des parties prenantes d’une société. Enfin, la dimension « Codification » est relative aux lois et décisions politiques prises pour protéger le sol.
Pour répondre aux objectives de sécurité alimentaire et de sécurité globale, il est essentiel que des dispositifs tels que la Directive européenne sur la surveillance des sols, ou d’autres initiatives liées à l’agenda climatique, ne se limitent pas aux seules dimensions de capacité et de condition (santé des sols), mais qu’ils envisagent d’élargir le concept de sol en intégrant les autres dimensions qu’il porte.
Actuellement, mes travaux de recherche sont interdisciplinaires et axés sur la sécurité des sols, incluant à la fois les sciences de gestion et les sciences du sol. Ils visent à répondre en partie aux trois objectifs liés la Directive européenne. Cette approche interdisciplinaire émane de l’observation selon laquelle la révolution verte a pu se concrétiser grâce aux sciences de gestion. C’est par cette même voie que la résilience organisationnelle des secteurs pourra se développer. De plus, en adoptant une vision globale et systémique pour s’adapter et résister aux crises, cela permet d’optimiser l’ergonomie de l’opérationnalisation des transitions.
Pour illustrer mes propos, dans mes travaux, nous évaluons la perception des enjeux liés au sol au sein des différentes parties prenantes en France et en Espagne pour comprendre les points bloquants et les possibles leviers d’actions.
Parmi les descripteurs de la dégradation du sol recommandés dans la Directive européenne, la perte de biodiversité du sol occupe une position primordiale en plus des indicateurs classiques physico-chimiques. Dans mes travaux nous mettons un point d’honneur au « microbiote du sol » et veillons à développer des technologies pour le diagnostic, le rétablissement de l’habitat et des réseaux trophique du sol pour des parcelles agricoles non optimisées, sans engrais ni pesticides..
Comment travaillez-vous avec le secteur économique et notamment les aménageurs, constructeurs, agriculteurs comme paysagistes?
J’accompagne les acteurs des différents secteurs en rapport avec le de plusieurs manières. Déjà, je cherche à sensibiliser l’ensemble des parties prenantes aux dimensions de cette ressource vitale et au microbiote du sol passe par plusieurs formats tels que des conférences, des ateliers en déplaçant mon microscope dans les territoires chez les élus, les associations et le tout public.
Il est essentiel de sensibiliser les professionnels dont les métiers sont étroitement liés au sol afin de favoriser la résilience et la durabilité dans les secteurs de l’immobilier et de l’aménagement des territoires.Ensuite, je propose formation et accompagnement des professionnels prennent une importance majeure lorsque les changements de pratiques doivent être mis en œuvre concrètement. Ainsi, les stratégies d’accompagnement que je propose varient en fonction de chaque secteur. Depuis plusieurs années, j’accompagne les collectivités territoriales (PAT) et les agriculteurs dans l’évolution de leurs pratiques et agricoles et dans la résilience organisationnelle et économique des entreprises. J’interviens également auprès des Chambres d’agriculture, des GRAB et instituts agronomiques etc.
Enfin, je veux mettre à l’honneur la transdisciplinarité et la transversalité pour rendre les silos académiques et professionnels plus perméables, afin de stimuler l’innovation, est une démarche essentielle. Un exemple concret dans le secteur agricole est le développement de nouvelles machines agricoles respectant le règlement biologique du sol. Je tiens à citer et saluer mes collaborateurs, les viticulteurs du GIEE, Agribiodrôme26, ainsi que ceux de l’Atelier Paysan, avec lesquels je contribue à l’élaboration d’un cahier des charges pour une machine permettant de décompacter sous le rang des vignes afin de favoriser les inoculations de biostimulants. Un autre projet concernant la filière céréale est en préparation et attend un soutien financier, afin de ne pas laisser le paysan boulanger porter l’intégralité du projet.
Dans le secteur de l’immobilier et de la construction de la ville de demain, j’ai été récemment sollicitée par la Fondation Palladio et par la sociéte Proplink en particulier.
La notion de « sécuriser les sols » remonte à l’épisode des « Dust Bowl » dans les plaines centrales des Etats Unis dans les années 1930 et a été mentionné par Woodward (1945). Puis, l’économiste américain Charles Walter dans les années 1970 mentionnait déjà que « pour être économique, l’agriculture doit être écologique ».
Au cours de la dernière décennie, Koch et al. (2012) ont réintroduit le terme pour promouvoir la priorisation des réflexions et des politiques sur les sols équivalentes à celle accordée à la sécurité alimentaire et hydrique. Ils ont développé et élargi les différentes dimensions associées au concept de sécurité des sols (Pachon et al.2024).
Elle mène des travaux de recherche spécialisés en sciences de gestion avec une expertise particulière dans le domaine du microbiote du sol. Ses travaux se situent à l'intersection de l'agriculture, de l'environnement et de la gestion, mettant en lumière l'importance du sol au sein des stratégies de sécurité alimentaire et de sécurité nationale / internationale. Elle propose des formations. La prochaine a lieu à la Chambre d'Agriculture de l'Ardèche mi-mars 2025.