Jean-Marie Séronie : "Agriculteurs des villes, agriculteurs des champs"
Jean-Marie Séronie, agroéconomiste indépendant intervient lors de conférences, colloques et assemblées portant sur les enjeux et les perspectives de l'agriculture. Il est également membre de l'Académie d'Agriculture. Pour Agri-city.info, il livre sa vision des liens qui unissent agiculteurs des ville, et agriculteurs des champs. Il milite pour un dialogue constructif.
"L’agriculture en ville devient peu à peu une évidence politique pour de nombreux élus, soucieux de répondre à une demande citoyenne.
A côté de l’agriculture maraîchère périurbaine traditionnelle, mais en déclin continu, s’invente donc progressivement une agriculture d’un nouveau genre.
C’est une sorte d’hybride atypique mélangeant souvent de la technologie, fascinante pour toute une génération de consommateurs très geek, avec une vision fantasmée de la nature et du monde rural qui elle au contraire réchauffe le cœur d’urbains détachés de la terre, souvent depuis deux ou trois générations, voir davantage.
C’est aussi la cohabitation improbable entre des caissons étanches ou des sous-sols produisant des fraises, des aromatiques, des salades « naturelles » en hydroponie sous lumière artificielle permanente d’un côté et de l’autre côté des « pieds d’arbres » jardinés, des contre allées végétalisées, des composteurs et bacs communautaires mis à disposition des habitants d’un quartier.
Ceux-ci y retrouvent le plaisir villageois de la conversation au débotté ou de l’échange de boutures et de secrets culturaux.
Des acteurs d’un nouveau genre s’investissent dans ces agricultures émergentes. Ce ne sont pas pour autant des paysans des villes et le risque d’une fracture avec les agriculteurs des campagnes qui se considèrent comme les seuls « vrais » est réel. L’entrepreneur urbain fier de sa modernité technique soupçonne l’agriculteur rural d’archaïsme, de pollution, d’industrialisation agricole tandis que le rural, le vrai paysan sérieux, rassuré par ses tonnes de lait ou de blé vendues chaque année s’amuse, lui, du bobo écolo bricolo et de son goût pour l’artificialisation de la nature.
Quand les uns s’identifient, assez froidement, à leurs choix techniques : agroécologie, agriculture de conservation, les autres répondent poésie, imaginaire : bergers des villes, ville nourricière, paysage comestible …
un sentiment de singularité peu favorable au dialogue
Sentiment de modernité, d’ouverture, de partage, d’être « tendance » d’un côté, de l’autre conviction d’avoir un poids économique, stratégique essentiel, de nourrir les français, d’être des gens sérieux « les pieds sur terre ».
Pourtant l’agriculture des villes amène des innovations qui devraient inspirer l’agriculture des champs : intégrer la logique de l’économie circulaire dès la conception globale de l’entreprise agricole, financer par l’appel à l’épargne et non l’emprunt, rapprocher la production de la consommation, raconter une belle histoire au consommateur sans le gaver de références ou de labels, comprendre l’importance de l’imaginaire, de la marque, de la promesse, l’importance capitale du service inclus dans le produit, s’intéresser autant au choc des images qu’au poids des mots, raisonner et valoriser la multifonctionnalité de l’exploitation agricole et le lien social qui se crée autour de la production, anticiper l’importance et la valeur du paysage vert pour le cadre de vie avec le changement climatique.
L’agriculture des villes, de son côté doit apprendre les impondérables de l’économie agricole. Elle doit rester vigilante sur les performances techniques, financières et environnementales réelles de son système de production, la logique de start-up ne peut durer longtemps en agriculture. La main d’œuvre et son coût est une donnée majeure en ville comme à la campagne, une main d’œuvre gratuite, bénévole ne permettra en effet jamais de dépasser un stade micro-artisanal.
La ville et le rural ont intérêt à construire un dialogue fructueux et à ne jamais oublier que s’il y a un siècle l’Ile de France produisait plus de 80% des produits frais consommés à Paris, c’est aujourd’hui largement moins de 10 %. Dans une logique de relocalisation, même modérée, de la production près de la consommation les innovations à trouver sont innombrables. Il y a donc de la place pour toutes les formes d’agricultures physiquement ou culturellement proches de la ville".
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