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L’agriculture urbaine dans la ville de Rosario en Argentine

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Agnès Delefortrie, a réalisé un voyage en Argentine en janvier 2022, dans le cadre d’une bourse Nuffield. Elle a notamment visité et étudié la ville de Rosario régulièrement citée comme un exemple de bonnes pratiques et de mise en place d’un projet pérenne d’agriculture urbaine. Elle nous raconte.

La politique d’agriculture urbaine de la ville a débuté en 2001

En 2001, l’Argentine a été confrontée à une grave crise économique et sociale mettant de nombreuses personnes dans une situation de précarité ; la moitié de la population était sous le seuil de pauvreté. Face à la situation critique, des habitants ont commencé à cultiver des zones abandonnées pour pouvoir se nourrir. La ville a rapidement mis en place la promotion de l’agriculture urbaine avec comme objectif l’inclusion sociale. Cette politique de la ville a été mise en œuvre avec une ONG locale en plus du programme ProHuerta déjà implémenté. L’ONG apportait des aspects techniques et la ville apportait l’aspect politique. Ce programme est toujours en place 20 ans plus tard.et met les habitants en position d’acteurs, producteurs de nourriture au lieu de donner de l’aide alimentaire. Il inclut la promotion de la commercialisation des produits  pour avoir une source de revenus complémentaire ainsi qu’une baisse des frais via l’autoconsommation (même si elle est parfois au second plan).

Le programme repose sur l'agroécologie, les circuits courts et des partenariats

La production doit être agroécologique, en prenant en compte une définition large de l’agroécologie : tant environnementale, économique que sociale (et aussi politique).
La ville apporte un appui à la production par la mise à disposition de terrains (publiques ou privés), de l’eau, d’outils, de plants et d’un accompagnement technique des producteurs et productrices.
Un centre agroécologique a été créé en ville afin de former sur ce sujet : plantation, association de cultures, faire des préparations, etc., des plants y sont produits et proposés aux agriculteurs urbains. Il n’y a pas de certification des producteurs, mais la création d’un lien de confiance avec le consommateur qui connait les producteurs via un système de garantie participative.

 
L’agriculture urbaine et périurbaine est principalement réalisée par des personnes précaires : familles ayant migré depuis le nord du pays ou personnes au chômage. Cela représente aujourd’hui environ 75 ha et 300 agriculteurs urbains répartis sur différents sites nommés « parque huerta »

À noter environ 65%, des producteurs sont des productrices. Il existe aussi un accompagnement à la commercialisation via des foires et marchés mis en place par le service économique de la ville. La majorité des productions est d'ailleurs vendue par ce biais. Pour des productions plus importantes, une équipe de grossistes s’est mise en place afin de commercialiser en semi-gros à destination des professionnels ou des particuliers via une boutique de ces productions locales. Les consommateurs valorisent ces produits, tant pour l’aspect social d’entraide que pour avoir des produits frais produits localement avec des modes de production respectueux de l’environnement (dans un pays connu pour une utilisation intensive de glyphosate et sa production intensive, une conscience écologique forte est présente chez une partie des habitants). Néanmoins, malgré plus de 20 ans de présence et une reconnaissance dépassant les frontières, ce programme d’agriculture urbaine est globalement encore mal connu des habitants. 

Le programme perdure dans le temps grâce à ses acteurs

L’une des forces des acteurs et actrices de la ville pour assurer la pérennité de ce programme est la construction de projets en dehors de la municipalité avec des organisations sociales, des universités, des ONG, etc. localement, mais aussi à l’international. Ce réseau d'acteurs apporte une diversité et des liens forts qui permettent que les projets durent avec le temps, et ce malgré les changements politiques. Depuis la création du programme par une mandature plutôt à gauche, il y a eu une alternance politique. Les impacts positifs du programme, son inscription dans le temps long, les réseaux de partenariats noués, etc. ont fait qu’il est toujours maintenu.
Pour déployer l‘impact du programme à plus d’habitants et habitantes, il y a eu une extension des actions aux espaces publics, écoles, places de marché, programmes sociaux, etc.

Les citoyennes et citoyens sont formés pour produire leur propre nourriture (que ce soit une jardinière sur un balcon ou plus) établissant une véritable culture autour de ce sujet


En plus du programme d’agriculture urbaine, mis en route depuis 2001, un second programme, complémentaire, a été créé quelques années plus tard en 2015. Il est tourné vers l’agriculture périurbaine et la création d’une ceinture verte. L’objectif ici est écologique : la sauvegarde de terres agricoles et le passage à l’agroécologie. En effet, ces terres représentant environ 800 ha, sont lieux d’une bataille entre productions agricoles et création d’habitations.
La spéculation est importante et des constructions non autorisées voient le jour. Ce projet vise aussi à lutter contre l'imperméabilisation des sols et à améliorer la gestion de l'eau, dans une ville sujette à des inondations conséquentes. Enfin, une loi à Rosario interdit l'utilisation de produits chimiques à une certaine distance des habitations. Les agriculteurs présents dans la ceinture verte sont donc obligés de passer à l'agriculture agroécologique. Une partie le fait par choix, une autre par obligation ; la ville accompagne ce changement par des aides techniques. Enfin actuellement, se développe le programme Cuidar pour rapprocher la transformation des lieux de production et ainsi permettre aux producteurs et productrices de mieux valoriser leur production tout au long de l’année.

Rosario
À la ville de Rosario travaillent environ une trentaine de personnes pour le programme d’agriculture urbaine, une quinzaine pour le programme de ceinture verte auxquelles s’ajoutent les équipes chargées de commercialisation. Ceci, auquel s’ajoutent les appuis matériels, représente un investissement conséquent de la municipalité pour encourager ces modes de production. C’est cet appui municipal de long terme qui permet au programme d’agriculture urbaine de durer dans le temps. Des initiatives privées ont aussi lieu dans la ville, mais elles sont souvent reliées au programme municipal et sont plus petites que ce programme municipal. Cette prépondérance de l’implication municipale est un point fort, mais aussi une fragilité : s’il y a un changement de politique et que la municipalité ne finance plus ces programmes, ils s’effondreraient. D’où l’importance des partenariats, de l’image donnée à la ville grâce à l’agriculture urbaine et périurbaine pour en assurer la pérennité.
Rosario a été récompensée pour ces démarches en faveur de l'agriculture urbaine, en 2021 par le « Prize for cities » du WSI Ross Center, un concours mondial célébrant et mettant en lumière les changements urbains transformatifs. Ce prix reconnait les démarches de Rosario pour améliorer la résilience, l'équité et améliorer l'accès à une alimentation saine et locale.


Agnès Delefortrie

Agnès Delefortrie a réalisé ce voyage en Argentine en janvier 2022, dans le cadre d’une bourse Nuffield. Le but de cette bourse, destinée aux acteurs du monde agricole, est d’avoir un sujet d’étude en lien avec son activité et d’aller voir ce qui se fait à l’étranger pour amener de bonnes pratiques en France et dans son activité. Son thème d’étude est : « l’agriculture de proximité, un moyen pour reconnecter ville et campagne ? ». Agnès est allée en Argentine, Équateur, Cuba, Belgique, Pays-Bas et France pour étudier ce sujet. En plus de lectures, conférences et interviews avec des chercheurs et chercheuses.
Pour en savoir plus sur son activité : www.solanae.fr

photos Agnès Delefortrie

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