Le média de l'agriculture et de la végétalisation urbaines

L'agriculture à la reconquête des villes

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En France comme ailleurs dans le monde, l’agriculture urbaine suscite un intérêt grandissant : elle se (re)développe sous des formes et avec des objectifs extrêmement variés. Une alternative de plus en plus crédible face à l’urgence écologique qui appelle à repenser les dynamiques de territoires et le modèle de la ville, son rapport à la nature et sa capacité à nourrir ses habitants. Article paru le 30 juillet 2020 dans CulturesBio, avec Pascale Solana.

 

« La voiture a chassé les chevaux de Paris. Autrefois, leur fumier fertilisait les cultures de champignons ! Aujourd’hui, on chasse la voiture et on les réintroduit », lance, amusé, Jean-Noël Gertz, initiateur de la première ferme urbaine bio de Paris, située en dessous de hauts immeubles dans le 18e arrondissement.
Dans ce quartier populaire « discriminé », à deux pas du métro Marx Dormoy, « les vastes parkings des années 70 se sont vidés et sont devenus coûteux à sécuriser », poursuit-il. Après une reconversion professionnelle où il s’essaie d’abord à l’agriculture dans un bunker de Strasbourg (67), le jeune homme a remporté avec son collègue agronome un appel à projets de la Ville de Paris pour cette activité.
Deux ans plus tard, La Caverne emploie 13 personnes et produit chaque jour 500 kg d’endives et 200 kg de champignons que l’on retrouve dans certains magasins Biocoop d’Île-de-France.

Ferme urbaine d'endives ©Matteo Berton

« Dans le 19e arrondissement de Paris, à Bordeaux, à Lyon, nous menons des initiatives similaires », annonce-t-il. Juste retour. Car comme d’autres régions fortement urbanisées, l’Île-de-France a eu son passé fruitier, potager et viticole et, outre Paris, d’autres villes se sont longtemps nourries de leurs espaces cultivés.

L’ère des zonages

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le cloisonnement des espaces et des usages, de la ville et de la campagne s’est enclenché : pavillons avec jardinets ou grands ensembles avec espaces verts pour le loisir d’un côté, surfaces cultivées pour les productions rentables de l’autre, etc.
« La ville s’est développée en favorisant le flux des marchandises et des personnes », écrit le spécialiste du Laboratoire d'agriculture urbaine Éric Duchemin* évoquant notre système routier qui, « comme les artères, doit favoriser la circulation pour assurer sa survie. Elle est tel un organisme […] s’appuyant sur le monde rural pour son alimentation et sur ses alentours pour assimiler ses déchets.
Le récent concept de la ville durable place l’urbanisme dans une autre perspective où la biodiversité et la végétalisation sont de nouveau prises en compte. »
Mais aujourd’hui, aspirations et besoins sociétaux changent. Les consommateurs réclament une alimentation plus locale, durable.

L’urgence écologique (climatique, sanitaire…) appelle à revoir les modèles dont celui des villes confrontées à de multiples défis, dépendance alimentaire, pollution de l’air, désimperméabilisation des sols, îlots de fraîcheur…

Agricultures plurielles

Dans notre imaginaire, l’agriculture urbaine évoque des installations futuristes, hors-sol en aéro ou hydroponie, voire indoor, en milieu fermé. Des fermes verticales comme à Singapour (Sky Green), à Montréal (serre Lufa) ou comme l’immeuble maraîcher de Romainville (93) en projet.
Mais les formes de cultures urbaines sont extrêmement variées, selon les acteurs – publics ou privés –, les objectifs – commerciaux, sociaux, pédagogiques –, l’implantation – jardins familiaux, partagés, d’insertion, terrasses, bandes potagères en espaces publics, bio, pas bio…
Ainsi à Bordeaux Rive droite (33), le programme immobilier sur la ZAC Bastide-Niel comprend une ferme urbaine de 2 000 m². Au cœur d’Amiens (80), une ferme maraîchère bio et solidaire fait revivre la vocation nourricière des « hortillonnages ». Cette coopérative de 7 salariés, avec une quarantaine de bénévoles, produit chaque semaine 700 kg de légumes pour ses 4 500 adhérents : « De bons rendements, précise Frédéric Fauvet, président de l’association Terre Zen, initiatrice du projet. Nous avons fait le choix de la permaculture. Tout est récolté à la main. L’humain prévaut sur la machine. »

Ailleurs, des friches et lieux en attente de réaffectation sont réensemencés, comme en Seine-Saint-Denis où déjà 300 sites d’agriculture urbaine ouvrent de nouvelles perspectives à des espaces désindustrialisés. Les initiatives s’agrègent en réseaux et inspirent. Citons les Incroyables comestibles, les Agri-urbains du Hainaut, les Vergers urbains ou Green Guerilla dans toute la France… ou encore la ville de Paris et son objectif de passer entre 2014 et 2020 de 11 à 30 ha cultivés.
En 2019, elle en comptait 21,5. La capitale a entraîné un mouvement qui existait déjà, selon Léon Garaix, de la Mairie de Paris**. Les communes voisines se sont engagées.

 

Nourrir les villes? 

« À l’origine, c’est un mouvement associatif et social, analyse le spécialiste des questions d’agriculture et d’environnement Julien Josse, de France Stratégie, dans une note rédigée pour la Fabrique écologique***. Mais aujourd’hui de plus en plus de projets se structurent économiquement pour être productifs, ce qui donne naissance à une nouvelle forme entrepreneuriale. »
Certains parlent de filière naissante. Forcément, le potentiel nourricier interroge. Difficile à chiffrer. Les données restent parcellaires. « Les productions issues de l’agriculture urbaine ne peuvent nourrir en masse nos concitoyens », observe Jean-Luc Poulain, président du Salon de l’agriculture. Mais en France « les études scientifiques convergent néanmoins : les agricultures urbaines pourraient nourrir au maximum 10 % de la population des villes », estime Julien Fosse dans une tribune publiée par Reporterre.net.

Cependant, selon lui, cela implique des politiques volontaristes associant ministères et collectivités territoriales, des dispositifs de gouvernance citoyenne locale, de la formation… Et la préservation des espaces disponibles au cœur et en périphérie des villes, un frein à l’étalement urbain.
Et encore, une réflexion sur la production agricole comme une composante des villes et de leur évolution. « La ville ne pourra pas faire l’économie de repenser également ses relations avec les territoires qui l’entourent, au-delà de son périmètre », écrit-il.
Depuis des années, les efforts de relocalisation et les liens tissés avec la production dans les territoires par Biocoop s’inscrivent dans cette perspective, avec la fierté de contribuer à ce nouveau récit qui rassemble.

Passé nourricier

Au Moyen Âge, les cultures occupent tous les espaces disponibles de Paris dont elles quittent l’enceinte à partir du XIIe siècle. Elles se spécialisent au fil des siècles.
Du milieu du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, une plaine légumière se développe dans la banlieue est. « Grâce à un système technique unique, des légumes destinés au peuple parisien étaient produits dans cette plaine très fertile, naturellement humide, continuellement engraissée par les boues et les fumiers de Paris », décrit l’historien Jean-Michel Roy, dans Agriculture urbaine, vers une réconciliation ville-nature, Éd. Le passager clandestin.

Ces cultures deviennent des laboratoires d’innovations (cultures sous cloches…), intensifiant les rendements, explique l’architecte Augustin Rosenstiehl lors des Journées de l’agriculture urbaine en 2019**, tandis que chaque vague d’immigration apporte ses savoir-faire (l’endive des Belges, le champignon des Italiens…).
Au milieu du XIXe, les Parisiens sont nourris par l’Île-de-France. Jusqu’à ce que le chemin de fer rebatte les cartes.

Potentiel chiffré

Si les jardins collectifs français – environ 2 500 à 5 000 ha sur 29 millions d’ha de surface agricole utile – étaient cultivés en permaculture, mode de production écologique le plus intensif, cela représenterait 53 000 à 107 000 t de légumes par an, selon Julien Fosse dans une note sur l’agriculture urbaine rédigée pour la Fabrique écologique***. Soit de 0,9 à 1,8 % des légumes produits en France. De quoi nourrir 370 000 à 740 000 personnes par an.
Pour les surfaces de toits évaluées approximativement à 1,3 million de m², ce sont 5 700 à 8 000 t de légumes par an qui répondraient ainsi aux besoins nutritionnels de 39 000 à 54 000 personnes.
 
 
Ce reportage est paru dans le n° 111 de CulturesBio, magazine de Biocoop
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