"Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es"
Clémence Bechu, directrice au sein de l’agence Bechu & Associés, propose son point de vue, mais aussi des nouveaux modes de faire la ville pour s’adapter au changement climatique, Dans le numéro de décembre d'Objectif Métropoles de France, elle porte son regard sur l'agriculture urbaine.
Cet aphorisme que l’on doit à Brillat-Savarin, à retrouver dans son célèbre ouvrage faisant l’éloge du plaisir de manger, La Physiologie du goût, paru en 1825, a récemment été réinterprété par l’architecte C. Steel, avec une expression adaptée à son temps et à l’échelle de l’habitat principal de l’Homme : "Les villes, comme les gens, sont ce qu’elles mangent"1
Une phrase qui m’a interpellée alors que le sujet de la résilience alimentaire est un des enjeux clé des villes, notamment en France. Nous avons en effet déjà fini notre transition démographique urbaine, quand d’autres pays ne l’atteindront qu’à horizon 2050. Notre territoire national concentre ainsi environ 75% de sa population en milieu urbain. Pris à revers, ce chiffre signifie aussi qu’en France, 75% de la nourriture est consommée dans les villes. Si se nourrir en milieu urbain est une préoccupation aussi vieille que le sont les villes, ce qui change aujourd’hui, est que ce besoin si essentiel à la vie est aussi à mettre en perspective des nombreux enjeux écologiques2 auxquelles la ville durable doit répondre, à la fois sociétaux, environnementaux et économiques.
Poser le bon diagnostic
L’application web CRATer3, développée par l’association Les Greniers d'Abondance, et notamment soutenue par l’ADEME, permet d'obtenir un 1er bilan de la résilience alimentaire territoriale d'une commune, d’un canton, ou d’une région. Open source, organisé par axes et sous forme de scoring, l’outil s’adresse à tous. Il permet non seulement de sensibiliser les citoyens à ce sujet, mais aussi de faciliter le travail de tout porteur de projets souhaitant intégrer cette dimension à la réflexion, ou encore d’être une aide à la décision pour accompagner les Plans Alimentaires Territoriaux ou la restauration scolaire des collectivités.
C’est une base pour identifier les enjeux essentiels, les vulnérabilités et les leviers d’action prioritaires sur chaque territoire, pour rentrer ensuite dans des granulométries plus fines en fonction de problématiques transverses, comme certains facteurs socio-économiques inhérents aux spécificités des villes et de leurs quartiers, afin de comprendre par exemple où se trouvent les déserts alimentaires et quelles sont les populations concernées. Pour accompagner les acteurs publics ou privés de la ville, une nouvelle catégorie d’AMO dont le rôle est de faire le lien entre l’alimentation et l’aménagement urbain est apparue. La jeune pousse marseillaise Ecoceaty (annuaire agri-city.info, ndlr) se présente ainsi comme un "créateur d’écosystèmes alimentaires durables".
De l’agriculture à l’urbaculture
Le bio a pris un essor considérable ces 30 dernières années et avec des prix qui heureusement tendent à diminuer. Des acteurs pionniers de l’agriculture biologique se sont organisés pour créer un lien plus direct entre le champ et l’assiette des consommateurs. Ils ont depuis été suivis par beaucoup d’autres, faisant croitre l’offre au regard d’une demande grandissante. Mentionnons par exemple le groupe Dynamis crée en 1991. Grossiste historique de la bio sur le MIN de Rungis, souhaitant faire bénéficier de leurs produits bons pour la terre et la santé au plus grand nombre, il a été précurseur des AMAP4 grâce à la mise en ligne dès 1997 de la plateforme Le Campanier.
Dans cette même logique de rapprochement entre producteurs et consommateurs finaux en cœur urbain, d’autres nouveaux entrants proposent à leurs clients d’accéder aux meilleurs produits à des prix fixés par le producteur. Et il y en a pour tous les goûts : la marketplace Pour De Bon s’appuie sur une réseau de 700 producteurs de choix ; Poissecaille travaille avec 250 pêcheurs nationaux choisis pour leurs pratiques durables, et s’appuie sur un réseau de marchands partenaires chez qui récupérer ses colis ; MeatMyFish innove encore avec son vélo cargo frigorifique, et promet le meilleur de la viande et du poisson en circuit court livrés chez vous 7j/7 et dans l’heure de 17h à 21h !
Pour répondre à l’inflation, des offres d’abonnement permettent encore de mieux tendre les prix.
L’alimentation en France représente 22% de l’empreinte carbone de notre consommation totale. Elle est le 3ème poste le plus émetteur de GES, après le transport et le logement. 54% de ces émissions sont issues de notre manière de consommer et de produire sur le territoire national, et 46% liées aux importations. Il faut donc encourager toujours et encore plus le rôle des AMAP, mais aussi favoriser le développement de solutions de production durables alternatives au cœur des villes.
Outdoor ou Indoor, pour mieux résister aux aléas climatiques, les fermes urbaines dont le terme englobe des approches très diverses, poussent partout sur le territoire. Si beaucoup d’entre elles peinent à trouver leur modèle économique, preuve en sont les chutes récentes des start-ups Agripolis, Agricool ou Sous les fraises, le marché apprend.
Investir les friches
De nouveaux acteurs de l’AgriTech proposent des systèmes plus efficients, associant un mode de production polyagricole et non plus mono-produit, à des systèmes moins énergivores, et où la seule manipulation humaine reste celle adonnée aux plantes, favorisant le développement d’un autre nouveau métier qu’est celui d’urbaculteur. On peut par exemple citer Independant Living Base qui installe ses "Bubble Tech" au sein de friches que sont les parkings délaissés de leurs voitures au profit d’autres modes de déplacement décarbonés, ou les immeubles de bureaux désaffectés non convertibles en logement, en quête de nouveaux usages. Leur 1ère ferme est basée en Val de Marne dans un immeuble de bureaux appartenant à Icade. Reconverti en lieu de production agricole à proximité de lieux de consommation, il a ainsi retrouvé un avenir.
La nourriture dans les villes durables est un marqueur des enjeux sociétaux, économiques et bien sûr environnementaux. Bien nourrir la cité, répondre aux besoins de ses habitants et améliorer leur qualité de vie, c’est garantir le bon fonctionnement de l’écosystème urbain. Des gens en bonne santé parce qu’ils mangent bien, incarne sans doute le meilleur reflet d’une ville elle-même en bonne santé, car à même de prendre soin de ses habitants.
"Les villes, comme les gens, sont ce qu’elles mangent", une maxime majeure pour l’avenir de nos villes ? Mise en exergue de celle du gastronome d’antan, elle nous invite à questionner les nouvelles formes d’alimentation durable qui germent chaque jour, comme les algues ou les insectes. Auront-elles un impact sur la manière d’être des humains, et donc réciproquement sur la façon dont nos villes en seront elles-mêmes remodelées ? A suivre…
Clémence Bechu, directrice du développement et de l’innovation au sein de l’agence d’architecture Bechu & Associés
1Ville affamée, Carolyn Steel aux éditions de la rue de l’Echiquier.
2 class="copyright">Le sujet de la revalorisation des biodéchets a été traité dans la rubrique du numéro 19 précédent d’OMF
3 Calcul de Résilience Alimentaire Territorial
4La première AMAP en France date de 2001