Des espaces habités pas comme les autres
À la campagne comme en ville, il est possible de penser autrement l’urbanisation. L’architecte-urbaniste Bernard Menguy en témoigne. Économes en foncier et riches en biodiversité, les opérations conçues en Ille-et-Vilaine réussissent à conjuguer charme des lieux et frugalité. Revue d'urbanisme Diagonal, Publié le29/06/2020, Paroles d'acteurs,
Au début des années 2000, à Hédé-Bazouges, vous avez conçu l’un des premiers éco-lotissements en milieu rural. Avec quel parti pris initial ?
Le maire savait qu’il ne voulait pas du lotissement standard que l’on trouve dans la plupart des bourgs. Nous avons donc lancé des réflexions avec des habitants et les élus, autour d’idées force visant à économiser le foncier et à intégrer les enjeux écologiques dans le projet d’aménagement du lotissement et dans les systèmes constructifs des futures maisons. Outre la taille des lots, en deçà de la moyenne, nous avons décidé de restreindre la place de la voiture qui n’a rien à faire à proximité des maisons sur les parcelles constructibles. Il a été convenu qu’elles seraient regroupées à l’extérieur des parcelles sur de petits parkings avec garages, en lien avec la voie d’accès.
Quel est l’impact de ce parti pris sur l’artificialisation ?
Il l’a quand même bien limitée. Nous avons une voie unique de 3 mètres 50 de large au lieu des huit mètres d’emprise au sol dans un lotissement classique. À Bazouges, il n’y a pas de trottoir mais une bande enherbée d’un côté, tandis que de l’autre, le fossé recueille les eaux de ruissellement. Les terres d’excavation de la voirie ont également été rabattues sur les côtés de la voie pour créer des talus plantés. Avec les économies d’échelle réalisées, nous avons végétalisé le lotissement en faisant appel à un paysagiste qui a utilisé des essences locales.
Vous avez voulu composer un paysage avec des vues. Qu’entendez-vous par là ?
Dans les lotissements traditionnels, chacun cherche à montrer sa maison et ce qui est donné à voir, en direction de l’espace public, n’est pas de grande qualité. Nous avons voulu nous inspirer de ce que l’on découvre lorsqu’on se promène sur une route de campagne où vous avez en premier plan un talus planté et juste derrière, des maisons, des hameaux, une cheminée qui fume, que vous découvrez à travers la frondaison des arbres. Voilà le paysage que l’on a souhaité construire à Bazouges, avec au premier plan le talus planté, puis le jardin d’agrément qui se devine entre les arbres et les arbustes, et enfin la maison que l’on découvre en cheminant.
Dans le lotissement réalisé à Langouët, qui dispose de petites parcelles, comment avez-vous résolu le problème de la densité et de la promiscuité ?
La plus petite parcelle doit faire 220 m², aussi l’intimité se gère-t-elle par un travail sur les mitoyennetés par exemple, avec des haies végétales plus denses sur une longueur de 3 à 4 mètres mais aussi par des constructions mitoyennes. Il se développe dans ce lieu un mode de vie particulier, avec de la solidarité et beaucoup de partage. Cette situation répond à une de nos préoccupations sur le lien social. Bazouges et Langouët apportent des réponses à cette question.
Autre exemple, cette fois à Rennes, où vous avez réalisé un ensemble de petits collectifs insérés dans la nature existante, « les Passerelles des Matelouères ». Comment avez-vous procédé ?
Cette résidence est venue se poser sur une ancienne prairie où trône un poirier centenaire magnifique. Le projet visait un impact environnemental aussi faible que possible. Une démarche bioclimatique a donc été mise en place. Les 53 logements, accessibles au plus grand nombre, sont tous orientés plein sud, et ils sont reliés à des chaufferies bois. Par ailleurs, il y avait, autrefois, un manoir entouré d’un bois. Il en reste un reliquat aujourd’hui préservé. Et, là aussi, nous voulions éloigner la voiture, avec un bâtiment en front de rue, comprenant deux parkings en sous-sol, tandis que les trois autres bâtiments sont posés sur la prairie, en peigne. Je dis bien « posés », de manière à garder des bandes intercalaires entre les bâtiments. Nous les avons aménagés en jardins partagés, avec des traverses de cheminements piétons ouverts sur le quartier, qui mènent au bois. Il existait aussi un lieu de passage naturel sur cette prairie, utilisé par les habitants du voisinage. Nous l’avons conservé pour garder les connexions naturelles créées par les usages du quartier, et nous en avons suscité de nouvelles pour favoriser des transversalités.
Quels sont les principaux freins et les leviers pour repenser les espaces habités ?
Les freins, ce sont les résistances que, les uns et les autres, nous mettons, les habitants, les élus, les « sachants ». Pour les dépasser, la démarche participative s’avère indispensable comme en attestent déjà plusieurs de nos projets. Tout d’un coup, et souvent pour la première fois, les réflexions, les envies des habitants sont prises en considération. Et ce qui se passe dans ces ateliers collaboratifs est simplement fabuleux !