Projets alimentaires territoriaux : de la réflexion à l'action
Six ans après leur création, les projets alimentaires territoriaux (PAT) avancent timidement, faute de financements. En leur dédiant une enveloppe de 80 millions d'euros, le plan de relance devrait consolider la démarche. Témoignages des acteurs concernés à l'occasion de la journée de débats organisée le 18 septembre 2020 par le Réseau Cocagne. Avec Emilie Zapalski pour Localtis, le 23 septembre 2020.
D'autant que le gouvernement réduit la voilure et ambitionne de se concentrer sur "un PAT par département" et non plus 500. Au croisement de nombreux enjeux (souveraineté alimentaire, lutte contre la précarité alimentaire, agro-écologie...), le PAT de la métropole d'Aix-Marseille montre une réelle capacité d'adaptation.
"Les projets alimentaires territoriaux représentent un bon outil pour commencer à réfléchir et pour accompagner des politiques autour de l'agriculture et de l'alimentation mais les actions restent encore timides, selon les territoires." C'est le témoignage de Julie Lequin, responsable recherche et développement chez SaluTerre, un bureau d'études en ingénierie sociale, paysagère et environnementale, lors d'une journée de débat organisée le 18 septembre 2020 par le Réseau Cocagne,
SaluTerre et le mouvement des cuisines nourricières. Ces démarches se sont développées en France sous l'impulsion d'acteurs locaux. Elles ont ensuite obtenu un statut officiel à travers les PAT dans le cadre de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. À l'heure actuelle, difficile de savoir combien il y a de PAT en France, car certains (41) ont été labellisés par l'État, d'autres, autour d'une centaine, vivent leur vie sans label officiel.
Pour Jean-Daniel Ralambondrainy, chargé de mission à la métropole Aix-Marseille Provence, le problème de la mise en œuvre des actions concrètes des PAT réside dans le manque de financement. "L'État finance l'émergence des PAT mais jusqu'à maintenant, il ne s'était pas positionné sur le financement de la mise en œuvre des actions, explique-t-il à Localtis,. Il fallait chercher d'autres types de financements, via l'Europe notamment."
80 millions d'euros du plan de relance
Le financement de l'État passait exclusivement par le programme national de l'alimentation, sous forme d'appels à projets annuels visant à faire émerger de nouveaux projets. Mais le plan de relance gouvernemental, annoncé le 3 septembre 2020, pourrait changer la donne. Il prévoit en effet un volet agricole d'1,2 milliard d'euros, dont 546 millions devraient être consacrés à l'accélération de la transition agro-écologique : 346 millions d’euros pour les moyens de production et 200 millions d’euros pour l'alimentation.
Sur le total, les PAT devraient recevoir 80 millions d'euros "pour accompagner les territoires dans la structuration des filières et notamment des filières de circuits courts", a annoncé le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, le 3 septembre.
Au passage, le gouvernement a largement revu ses objectifs à la baisse : il tablait initialement sur 500 PAT à horizon 2020, il table désormais sur "au moins un PAT par département d'ici 2022", soit une centaine. Il s'agirait donc plutôt de consolider l'existant que de faire émerger de nouveaux projets. "Des financements devraient être cette fois-ci directement fléchés sur les PAT, à travers des appels à projets notamment", se réjouit Jean-Daniel Ralambondrainy.
Pour Julie Lequin, "il faut voir le PAT comme une démarche plus que comme une finalité". "Il s'agit d'une démarche initiée par l'État, comme pour les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ou les clusters. Ces PAT qui se créent au fil des années ne vont pas péricliter mais peut-être que le concept n'existera plus en tant que tel alors que les démarches se poursuivront", envisage-t-elle.
Un PAT de 5 000 exploitations
La journée a permis de mettre en lumière la politique alimentaire menée par la métropole Aix-Marseille Provence qui s'est engagée dans un PAT depuis 2018 avec le pays d'Arles, en co-construction avec l'État, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, la région Sud, la chambre d'agriculture et d'autres acteurs publics et privés. On raisonne ici à une échelle très vaste, bien au-delà d'un "circuit court".
Ce PAT couvre un territoire de 2 millions d'habitants, pour 121 communes, avec un bassin de production, le pays d'Arles, et un bassin de consommation, la métropole. Il englobe ainsi le département des Bouches-du-Rhône et les deux communes de la métropole Aix-Marseille-Provence situées dans le Var et le Vaucluse, Sainte-Zacharie et Pertuis. Il s'étend sur 145.000 hectares de terres agricoles et regroupe 5.000 exploitations, soit 11.000 emplois permanents et 15.000 saisonniers. L'objectif premier est de mieux en faire profiter la population locale.
Un diagnostic a d'abord été élaboré en 2018 suivi de trois jours d'ateliers rassemblant les acteurs concernés, se focalisant notamment sur la restauration collective. Une étude spécifique sur le sujet a permis de mettre en exergue les gestes et astuces à intégrer dans les marchés publics pour privilégier par exemple les acheteurs locaux. Il est par exemple recommandé de "massifier la commande publique" de restauration collective pour rendre le marché plus attractif pour les producteurs locaux (groupements de commandes, intermédiation entre producteurs et grossistes, etc.).
Le PAT, qui a été labellisé par le ministère d'Agriculture et de l'Alimentation en février 2020, sait aussi se montrer réactif face à la conjoncture. Il a mis en œuvre des actions spécifiques durant la crise du Covid-19 dont une opération de 30.000 paniers solidaires, représentant 45 tonnes de fruits et légumes distribués chaque semaine pendant un mois à des personnes en difficulté.
Lutte contre la précarité alimentaire
Cette dimension sociale est une autre caractéristique du PAT. Il expérimente, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la précarité alimentaire, la mise en place de solutions locales d'urgence dans les quartiers nord de Marseille. "Grâce à ce travail, nous avons identifié trois principaux freins, a détaillé Jean-Daniel Ralambondrainy.
Un frein économique, puisque ce sont des quartiers où les gens ont des revenus faibles ; un problème d'offre, car à cause de la délinquance, les magasins sont partis ; et un changement d'habitudes alimentaires à orchestrer, car même si on apporte des fruits et des légumes, ces populations ne vont pas forcément les prendre, il faut retravailler le lien alimentaire." Les paniers bio solidaires expérimentés pendant la crise sanitaire sont une des réponses à ces freins. Mais la métropole cherche aussi à développer des modèles économiques viables pour répondre à ces besoins, avec des marchés en semi-gros et des groupements de commandes notamment.
Graines de Soleil, (voir notre article dans Agri-City.info) une des associations qui travaillent sur le sujet avec la métropole, a ainsi développé des ateliers cuisine mensuels dans les quartiers de Marseille. "Nous allons aussi à la rencontre des centres sociaux, comme celui du Panier, pour travailler avec les acteurs du quartier, a détaillé Jonathan Monserrat, le président et directeur de la structure associative d'insertion. C'est un quartier qui se 'boboïse', mais les habitants pauvres ne profitent pas de ce développement, nous menons des ateliers sur le budget alimentation et sur les légumes du jardin, avec des produits vendus à un tarif solidaire pour ces publics. Mais ces actions n'ont de sens que si elles s'inscrivent dans la durée."
"Nous sommes très favorables à la création de PAT à des échelles plus locales, mais il ne faut pas que ces démarches prennent le nom de PAT, car sur le territoire, le PAT labellisé est celui de la métropole Aix-Marseille Provence et du pays d'Arles. Vous pouvez en revanche en faire partie", a insisté Jean-Daniel Ralambondrainy.
Aux portes de Marseille, Graines de Soleil redonne espoir