Agricultures urbaines : conformer les agricultures, fabriquer la ville
Pour cet "appel à textes" de la revue Territoire en Mouvement, l'agriculture urbaine est considérée comme toutes les formes d’activités agricoles. Par leur multifonctionnalité, les agricultures urbaines* sont susceptibles de répondre à différents enjeux et aux attentes complexes et parfois contradictoires des citadins dans leur diversité.
L’objectif de ce numéro de la revue Territoire en Mouvement est d’interroger la fabrique urbaine de l’agriculture en mettant en lumière les perméabilités et les dialogues entre Nord et Sud (axe 1, encadré1) et entre les espaces urbains et les pratiques agricoles (axe 2, encadré 2).
Contexte et intérêts des études
L’agriculture en situation intra- ou péri-urbaine dans les pays du nord est redevenue utile à la ville non plus seulement en tant qu’infrastructure verte et outil d’aménagement, mais au nom également d’une sécurisation alimentaire dans un contexte d’incertitude climatique (ou de conscientisation d’une vulnérabilité relative des modalités d’approvisionnement en situation de crise, ce que la crise sanitaire 2020-21 a amplifié).
La démultiplication des initiatives (individuelles ou collectives, associatives, publiques ou privées) quant à la réhabilitation des fonctions nourricières des espaces ouverts de proximité confrontent les promoteurs de ces dynamiques qui se déroulent en milieu urbain dense ou en périurbain, dans ce cas en lien avec la ville.
Ces formes peuvent être présentes au sol et/ou sur ou dans des bâtiments et ammène les aménageurs, chargés de mission, associations, intermédiaires, consommateurs) à des questionnements et défis communs à ceux des pays du sud : parmi ceux-ci l’ensemble des problématiques relatives à la précarité et/ou à l’accession foncière, à la cohabitation des fonctions et usages; aux risques sanitaires ou aux modalités de recyclage des déchets urbains et de production d’énergie.
Deux axes de publications
Les auteurs sont invités à inscrire leurs articles dans les deux axes suivants reliés à deux grands enjeux :Le premier axe concernes les agricultures urbaines : vers une convergence des fonctions et des représentations ?. (encadré1)Le second, s'intéresse à l’intégration des pratiques agricoles dans la fabrique urbaine : vers la définition de nouvelles formes (agri)urbaines ?
Les politiques premières d’intégration au « métabolisme urbain » (Aubry et Pourias, 2013) ou de ré-inclusion des agricultures dans l’espace de la cité, du moins telles qu’elles ont été initialement formulées au Nord (INRA-SAD, 1995), ont contribué, à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, à considérer les agricultures urbaines des pays du sud et du nord comme divergeant sur leurs fonctions principales : alimentaires essentiellement au Sud ; sociales, paysagères, récréatives, environnementales au Nord. Leur fragilité face à l’avancée de la ville représentait néanmoins un enjeu commun. L’objectif de cet axe est de déconstruire, du moins d’interroger des perméabilités et des dialogues entre ces mondes. Dans et autour des villes des pays en développement, les agricultures évoluent fortement, poursuivant voire amplifiant leurs rôles alimentaires majeurs sur les produits périssables, face à des villes en croissance rapide et en partie informelle. Des résistances agricoles locales et souvent des réorganisations paysagères accompagnent les évolutions des systèmes techniques, de même que de nouveaux réseaux de distribution, modifiant le milieu urbain et renforçant les rôles des villages périurbains plus ou moins proches. Plus globalement, dans les pays en développement mais aussi dans les pays industrialisés, le retour de l’alimentaire intègre la problématique de l’autonomie (des villes) ou de la souveraineté alimentaire (des états) : il s’agit ainsi et aussi de poser les questions des échelles et de leur articulation, des ambitions et objectifs (nourrir, orienter, éduquer ou promouvoir), des périmètres ; et d’interroger tant la coexistence que les concurrences entre les différentes formes d’agricultures. Si un pays tel que la France via le PAEF (projet agroécologique pour la France) inscrit globalement l’espace agricole dans une dynamique de transition, il n’en reste pas moins que l’enjeu de l’urbanisation ou de métropolisation des agricultures dépend très largement des priorités et arbitrages réalisés à l’échelle étatique ou supraétatique (politiques de sécurité alimentaire vs politiques de souveraineté alimentaire - exemple du Maroc - ; agricultures nourricières territorialisées vs land grabbing, financiarisation et déploiement des agricultures spéculatives d’exportation) ; mais également des capacités des acteurs locaux ( dont agriculteurs, agro-industrie, distribution, négoce et collecte) à penser en termes de bassin de consommation ou d’hinterland des principaux organismes urbains.
Il conviendra de contextualiser les questionnements relatifs à la durabilité des agricultures urbaines et des systèmes agri-alimentaires territorialisés, tant en matière de modèles techniques, d’organisation logistique, d’accessibilité des populations à ces productions ; en soulignant sans aucun doute d’inégales urgences et priorités entre Sud et Nord.
La ville s’agrarise (Ernwein et Salomon Cavin, 2014), l’agriculture s’insinue dans la fabrique urbaine, modifiant et orientant la forme et les fonctions des quartiers. Les agricultures urbaines font désormais partie du tissu urbain (Giacchè et al., 2021). Elles constituent un agent particulièrement dynamique pour penser et transformer la ville à différentes échelles : de la région urbaine (Poulot, 2014), aux quartiers, des espaces publics (parcs, rues, parking, ect.) aux bâtiments (toits, façades, voir sous-sols et étages). Leur place est diverse, contradictoire, évolutive. Elles s’inscrivent ainsi bien dans des projets contestataires (Paddeu, 2021) que dans des stratégies municipales et commerciales (Darly et Reynolds, 2022) et sont étroitement dépendantes de variables d'ajustement de la programmation urbaine (ex. projets temporaires, mobiles, éléments structurant ou éphémère). Au-delà des agricultures urbaines, des stratégies « de la Fourche à la fourchette », permettent de repenser l’alimentation à l’échelle des quartiers, de même que l’optimisation de l'utilisation des espaces et des ressources (mutualisation des moyens et des structures, expérimentation de nouvelles circularités de flux de matières et d’énergie).
L’objectif de ce second axe est de donner à voir la diversité des expériences récentes d’agrarisation de la ville, au Nord comme au Sud, notamment à l’échelle des quartiers, qu’il s’agisse de nouveaux quartiers, de quartiers en rénovation (ou en friche) ou encore de quartiers prioritaires ou populaires pour lesquels l’agriculture est mobilisée comme une stratégie de revalorisation. Il vise à interroger les modalités et l’effectivité des hybridations morphologiques, réglementaires, spatiales et des savoirs au cœur des formes agriurbaines. Dans un contexte marqué par le marketing urbain voire le food washing (Macé, 2018), l’objectif est également la mise en lumière de l’hétérogénéité des situations ainsi que des leçons à tirer des promesses non tenues, tant du côté urbanistique qu’agricole.
Les principales questions que l’on souhaiterait voir aborder dans cet axe sont les suivantes : Comment les cadres réglementaires, concepts, outils de l’urbanisme sont-ils adaptés (ou non) pour rendre possible la fabrique de l’agriculture dans la ville ?, Quelles formes de pratiques agricoles (du jardinage aux fermes urbaines spécialisées, commerciales) sont privilégiées dans les quartiers urbains et comment s’intègrent-elles dans le fonctionnement de ces quartiers ?, Qui sont les acteurs principaux de cette agrarisation de la fabrique des quartiers ? Quels nouveaux métiers se développent ?, Comment la morphologie des quartiers (bâtiments, espaces extérieurs) est-elle modifiée, adaptée ou transformée pour laisser place aux agricultures urbaines ?, Quelle participation des habitants, quelle acceptabilité sociale, quelles critiques, quels conflits sont associés à l’agrarisation de la ville ?
Date limite pour l’envoi des articles : 31 mai 2023
Date de publication prévisionnelle : 1er semestre 2024
Contacts : Giulia Giacchè : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et Nicolas Rouget : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Responsables du numéro : Christine Aubry- INRAE, UMR SADAPT Université Paris Saclay, Nicolas Rouget, Univ. Polytechnique Hauts-de-France, U.R. CRISS, Giulia Giacchè,UMR SADAPT, AgroParisTech/ INRAE, Université Paris Saclay, Joëlle Salomon Cavin Université de Lausanne, Institut de géographie et durabilité, Lausanne - Lien vers la revue
** : contexte :Notre ville et agriculture, concurrentes mais aussi parfois complémentaires sur l’usage du foncier, de l’eau, de la main d’œuvre etc., de nouvelles synergies apparaissent ou se renforcent notamment sur le recyclage des déchets urbains (Bahers et Giacchè, 2019). Certaines évolutions des agricultures urbaines des pays les plus développés, notamment en France, font écho à ces constats : des reconquêtes spatiales agricoles dans le milieu intra et péri-urbain sont observables, incitées ou accompagnées par des collectivités (Margetic et al., 2016), des habitants ou des acteurs privés, au nom d’une multifonctionnalité dont la géométrie néanmoins a connu de considérables inflexions.