Des chercheurs explorent les évolutions récentes des relations entre les grandes exploitations agricoles et les villes*. Si l’agriculture retisse des liens avec l’urbain, elle est surtout prise dans les mécanismes du capitalisme globalisé. Elle s’intègre aux agglomérations comme une entreprise en compétition pour le foncier et pour l’accès à des marchés à la fois proches et distants.
Alors que les métropoles s'étendent et que les populations urbaines augmentent, la question de l'approvisionnement alimentaire devient de plus en plus cruciale. Dans ce contexte, la grande exploitation agricole fait son retour comme objet d'étude important dans les sciences sociales. La grande exploitation agricole est le modèle dominant de l'agriculture moderne, produisant la majorité des denrées alimentaires consommées dans le monde. Elle s'intègre aux agglomérations comme une entreprise en compétition pour le foncier et l'accès aux marchés. Cependant, ce modèle est en pleine mutation, sous l'influence de plusieurs facteurs. {restrict
Mondialisation et financiarisation de l'agriculture
Les grandes exploitations sont de plus en plus intégrées aux marchés mondiaux et attirent des investissements importants de la part de fonds d'investissement et d'autres acteurs financiers. Gilles Laferté, sociologue, souligne que ce processus de "normalisation" se traduit par l'émergence et la consolidation de la grande exploitation avec la montée de la figure de l'entrepreneur et du salariat agricoles. Par ailleurs, l'étalement urbain met en péril l'agriculture.
La croissance des villes grignote les terres agricoles et met la pression sur les exploitations situées en périphérie urbaine. Nolwenn Gauthier, historienne, retrace l'histoire de familles d'agriculteurs contraints de s'adapter à l'étalement urbain dans son ouvrage "Les maraîchers de Paris et la grande ville : une histoire de dépendance (XIXe-XXe siècles)".
Défis environnementaux et climatiques
L'agriculture est l'un des principaux contributeurs au changement climatique et à la dégradation de l'environnement. Les grandes exploitations sont souvent pointées du doigt pour leurs pratiques intensives et polluantes, ayant recours à des pesticides et engrais chimiques, à l'irrigation intensive et à l'élevage industriel. Marthe Koffi-Didia, géographe, analyse l'évolution des grandes plantations coloniales autour d'Abidjan en Côte d'Ivoire, devenues propriétés de grandes sociétés transnationales et tournées vers l'exportation dans des logiques d'extraction des ressources, dans son article "Les grandes plantations coloniales en Côte d'Ivoire : mutations et enjeux".
Face à ces mutations, de nouvelles formes d'exploitation agricole émergent, comme l'agriculture de firme et les pools de siembra. L'agriculture de firme caractérise par la concentration du capital et du pouvoir entre les mains d'un petit nombre d'entreprises qui contrôlent l'ensemble de la chaîne de production alimentaire. Les pools de siembra sont des regroupements d'agriculteurs qui mutualisent leurs moyens de production et de commercialisation.
L'agronome Hubert Cochet, note que la loi d'orientation agricole de 2006 envisage comme modèle de l'exploitation agricole "l'exploitation agricole flexible résultant de la mise en œuvre de trois projets distincts, patrimonial, entrepreneurial et technique".
Ces formes remettent en question le modèle familial traditionnel et les rapports entre capital, travail et terre. Le juriste Benoît Grimonprez détaille les droits français et européen qui soutiennent les logiques expansives de la grande exploitation. Elles soulèvent également des questions éthiques et sociales, notamment concernant l'accès au foncier, la justice alimentaire et les conditions de travail des salariés agricoles.
Un enjeu majeur pour l'avenir de l'alimentation
La compréhension des évolutions de la grande exploitation agricole est essentielle pour relever les défis de l'alimentation de demain. Il s'agit de garantir la sécurité alimentaire, de préserver les ressources naturelles et de développer des modèles agricoles plus durables, plus justes et plus inclusifs.
Il est nécessaire de poursuivre les recherches sur les modèles agricoles durables et inclusifs, en s'appuyant sur l'agroécologie, la permaculture et l'agriculture urbaine. Il est crucial de développer des politiques publiques qui soutiennent la transition vers des systèmes alimentaires plus justes et plus respectueux de l'environnement. La sensibilisation des citoyens aux enjeux de l'alimentation et la promotion d'une consommation responsable sont également des éléments clés pour construire un avenir alimentaire durable.
La grande exploitation agricole est ainsi un enjeu majeur pour l'avenir de l'alimentation. Il est nécessaire de poursuivre les recherches, de développer des politiques publiques et de mobiliser la société civile pour construire des systèmes alimentaires plus durables, plus justes et plus inclusifs