Rencontre avec Philippe Clergeau, professeur émérite au Muséum National d'Histoire Naturelle et membre de l'académie d'agriculture de France. Auteur de "Urbanisme et biodiversité", il nous parle de la manière dont la ville peut laisser place à la nature. Les potagers et jardins privés ou collectifs, et surtout les fermes urbaines, peuvent participer à l’installation d’une biodiversité urbaine.
Comment appréhender la biodiversité urbaine ?
Appréhender la biodiversité n'est pas une mince affaire. Or, il est possible de travailler sur le sujet en considérant plusieurs échelles d'organisation.
Par exemple, on peut prendre en compte l'échelle locale dans un premier temps, celle de la parcelle, du parc, du jardin ou du potager, en y favorisant l'implantation d'espèces locales, spontanées ou plantées. Les gestions écologiques qui sont un atout majeur des gestions différenciées permettent le maintien de ces espèces. De nos jours, la majorité des services des parcs et jardins ont intégré cette approche. La seconde échelle sur laquelle nous pourrions nous intéresser est celle à l'échelle globale, celle du quartier, de la ville, de la métropole. Cela correspond à l'échelle des corridors écologiques au sein de la ville et entre la ville et la campagne, comme la trame verte ou la bleue.
Où se situent les enjeux principaux ?
Plus le tissu est dense, plus la biodiversité a du mal à s'installer en coeur de ville. De plus, l’éloignement des sources d’espèces telles que les forêts ou les zones humides, diminuent les probabilités des espèces à arriver jusque dans la ville. Les grandes villes étendues offrent donc moins de possibilité que des petites villes où tous les quartiers sont proches des espaces naturels. Enfin, la déconnexion des citadins du contexte rural ou naturel qui entoure la ville est d’autant plus grande que la ville est étendue.
Comment rendre une ville riche en biodiversité et donc plus résiliente ?
Il existe déjà plusieurs outils et documents d’urbanisme propres à favoriser la prise en compte d’une biodiversité dans la ville, depuis les Espaces Boisés Classés jusqu’au plan de Trame verte et bleue. Le problème n’est pas tant dans l’utilisation d’outils ou de stratégies de conception et de gestion écologiques que dans la volonté politique des collectivités et notamment de leurs plus hauts représentants. Les services des espaces verts ou des parcs et jardins sont très au fait des processus écologiques, mais les services d’urbanisme et les directions générales des services sont eux assez éloignés de ces préoccupations. Il serait bon de multiplier les relations entre services, voire de les regrouper comme l’a fait la ville de Barcelone. De plus, il faudrait que les appels d’offre sur des projets urbains demandent plus clairement l’implication d’écologues. Les concepteurs (urbanistes, architectes, aménageurs, paysagistes, promoteurs) sont de plus sensibles à ces préoccupations écologiques et sont prêts à ouvrir leur consortium de candidature. Finalement, les acteurs les plus à même de faire bouger les lignes, sont d’une part, les élus, DGS et services d’urbanisme, d’autre part, les citadins, souvent regroupés en association, qui peuvent faire basculer les choix et décisions municipales et enfin les médias qui devraient plus valoriser les nouveaux concepts et les enjeux d’un urbanisme écologique.
L’agriculture urbaine peut-elle jouer un rôle dans cette évolution des villes
?
Les espaces qui peuvent accueillir de la biodiversité sont très nombreux et même si ce sont les plus étendus qui présenteront le plus d’espèces (forêts, parcs et jardins), les petits espaces s’ils sont bien gérés jouent aussi un rôle au moins dans les connectivités écologiques de la ville (Jardins partagés, végétalisation des toitures, des façades, friches). Les potagers et jardins privés ou collectifs, et surtout les fermes urbaines, peuvent donc participer à l’installation d’une biodiversité urbaine, surtout depuis que les pesticides sont bannis et qu’il y a plus d’attention à la qualité du sol. Un sol vivant et structuré est gage de production. L’agriculture urbaine a maintenant sa place dans les dynamiques urbaines et même si elle sera toujours insuffisante à nourrir sérieusement la ville, elle participe à l’ambiance, au développement de liens sociaux, aux régulations (rafraichissement de l’air, absorption des eaux de pluie, etc.) et comme nous venons de le dire à une certaine biodiversité. Mais cet enjeu est assez mal défini et l’académie d’agriculture vient de créer un groupe de travail sur les relations entre l’agriculture urbaine et la biodiversité avec l’objectif d’identifier les pratiques et les contextes les plus propices à une agriculture favorable à l’installation d’une biodiversité locale. Pour finir, je pense aussi que cette agriculture, même si elle concerne généralement des petites surfaces, peut être un super lieu d’expérimentation et de sensibilisation pour l’agroécologie et la permaculture.