Damien Deville, géographe et anthropologue de la nature, a présenté à Agri-City.info les résultats de ses recherches sur les jardins ouvriers à Alès. Dans cette ville des Cévennes assez pauvre d’un ancien bassin minier, plusieurs parcelles de jardins d’ouvriers ont été créées sur des terrains non-urbanisables. Ces parcelles existent depuis longtemps ou ont été développées par la mairie récemment.
Premier résultat intéressant, la surface totale des jardins a augmenté quand la ville subissait une crise et a baissé quand la crise s’amenuisait. Aujourd’hui, la surface augmenté. Damien Deville a donc cherché à comprendre comment ces jardins permettaient à des populations précaires des « territoires oubliés » (une partie des jardins se trouve aux côtés des HLM de la ville) de se créer de nouveaux projets, de s’émanciper. Après plusieurs entretiens individuels et collectifs, plusieurs conclusions ont pu être tirées. La première raison qui a poussé les jardiniers à travailler dans ces jardins ouvriers est d'ordre économique. Ces populations précaires au RSA, qui ont une petite retraite ou qui subissent un isolement social utilisent ces jardins pour arrondir leur fin de mois: soit grâce à la consommation de leur produit, soit en vendant une partie de leur production (certains jardins pouvant aller jusqu’à 800 m²). Une autre motivation est d'ordre social. Ces jardins permettent d’échanger avec de nouvelles personnes, de se créer un réseau, de rencontrer l’autre. Une motivation d’estime de soi, le prestige de créer et consommer ce que l’on produit. Une motivation paysagère, Alès était une ville magnifique avant d’être mise à raz dans les années 50 par son maire. Des grandes tours HLM ont été édifiées et les récits communs de la ville ont été détruits ainsi que ses symboles. Les jardins permettent de se réapproprier ses symboles paysagers et de redorer la ville.
Une dernière motivation est celle du retour à la terre, à la nature. Les anciens mineurs venaient de la campagne et leur descendance vivant maintenant à Alès veut retrouver ce lien avec le rural, avec leur ancienne génération.
Mais mêmes si toutes ces motivations et ces bienfaits existent, les jardins ouvriers ne suffisent pas aux populations de la précarité. D’abord, parce qu’un jardin ne produit pas au moins un SMIC et ensuite car les jardins ont un caractère exclusif. Tout le monde n’a pas accès aux jardins, il faut savoir qu’une parcelle se libère, il faut avoir du temps pour s’en occuper et il faut aussi des connaissances en jardinage. Tout cela créé une exclusivité où seule une « élite » peut accéder aux jardins ouvriers.
Damien Deville pressent même que ces jardins enferment ces populations dans leur précarité. Mais cela génère un lieu d’émancipation. D’autres lieux d’émancipation comme des tiers-lieu, des espaces de coworking, des espaces de rencontres doivent être développés par la commune. Une nouvelle liberté se créé et doit être développée. Cette idée doit s’inscrire dans les projets politiques des villes où l’on mise sur les populations qui sont là et pas sur celle que l'on voudrait attirer.
Damien Deville développe aussi ces nouvelles libertés dans son livre "Toutes les Couleurs de la Terre" aux éditions Tana.Théo Legay
Interview de Damien Deville
Pour aller plus loin:
- Damien Deville, géographe et anthropologue analyse l'engouement pour le travail de la terre