Horizon 2050. Les tours « mangrove » de Vincent Callebaut pour la gare du Nord à Paris : logements, bureaux, hôtels.
Partout dans le monde, des immeubles végétalisés sortent de terre. La réalité a rattrapé les utopies d’hier. Né en Belgique, installé à Paris, Vincent Callebaut, "l’architecte vert", est spécialiste des écoquartiers intégrant énergies renouvelables et agriculture. Extrait de l'interview parue dans Paris Match
En 2050, plus de la moitié de la population vivra en ville. Existe-t-il des solutions propres ?
Les villes consomment 80 % des ressources de la planète et occupent seulement 2 % de sa superficie. Mais plus une ville est dense, moins elle est énergivore. Et plus les habitants sont proches, plus ils sont solidaires.
Avec plus de 21 067 habitants au kilomètre carré, Paris [intra-muros] est la septième ville la plus densément peuplée au monde. Et en même temps, c’est l’une des villes les plus minérales avec seulement 5,6 mètres carrés d’espaces verts par habitant. La capitale est pénalisée par son faible score en matière d’espaces verts, sa politique urbaine encore basée sur l’usage de la voiture en centre-ville et son score relativement faible en matière de qualité de l’air.
A Paris, il existe 1,4 million de logements, 50 millions de mètres carrés de commerces et de bureaux, et 350 écoles et collèges à éco-rénover.
D’ici à 2030, l’objectif environnemental du Plan Climat Air Energie de la Ville de Paris est de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre, de 35 % les consommations d’énergie et d’atteindre 45 % d’utilisation d’énergies renouvelables.
D’ici à 2050, l’objectif, ambitieux, est de construire une ville neutre en carbone et à 100 % énergies renouvelables.
Quelles sont les villes modèles aujourd’hui ?
Vienne, Stockholm, Sydney… Leur point commun est une politique urbaine très volontariste, basée sur le développement des espaces verts et de l’agriculture biologique, le déploiement massif des énergies renouvelables et l’offre de transports en commun efficaces. Dans ces centres-villes bas carbone, les véhicules polluants sont interdits.
Quelles sont les nouvelles technologies que la construction devrait utiliser ?
La nature, qui recycle tout et transforme chaque déchet en ressource, a inventé l’économie circulaire. Elle utilise la photosynthèse comme seule source d’énergie, mise systématiquement sur la coopération entre les espèces. L’homme devrait davantage s’inspirer du vivant.
Nos projets d’architecture, pensés comme des écosystèmes métaboliques produisant leur propre énergie (calorifique, frigorifique, électrique et alimentaire), et recyclant leurs déchets en ressources, pratiquent ce biomimétisme. Nos architectures biophiliques [qui visent à privilégier le lien entre l’occupant et la nature], tout en rondeurs, sont inspirées des formes, des structures et de toutes les boucles de rétroaction employées par la nature. L’angle droit n’y existe pas.
Nos projets n’opposent pas la basse technologie, ou low-tech, et la haute technologie, ils les associent. La première est synonyme de sobriété et de simplicité, de modularité et de réparabilité, de respect des liens sociaux et des pratiques solidaires. Il se traduit par des constructions biosourcées [à partir de matériaux renouvelables] de conceptions bioclimatiques, utilisant des techniques de ventilation, irrigation, chauffage et éclairage, qui ne consomment pas un seul kilowatt.
Le high-tech regroupe les énergies renouvelables et les smart grids [réseaux intelligents de distribution de l’énergie et des données]. L’ambition est de produire proprement l’énergie, de réduire la consommation globale et le gaspillage pour atteindre un bilan carbone neutre.
Manger local deviendra-t-il la norme et les “tours à cultiver”, l’avenir ?
Manger local et selon les saisons n’est pas l’avenir mais bel et bien déjà le présent ! Il est donc logique que nos clients nous demandent systématiquement des balcons à cultiver sous forme de potager, des fermes aquaponiques ou dédiées à la permaculture sur les toits.
Le projet “Arboricole” d’Angers a été conçu dans ce but précis : vivre au cœur d’un jardin nourricier.
4 mesures pour réduire la crise écologique en ville
- La règle des 3 « R » : réduire, réutiliser, recycler
C’est l’économie circulaire, « régénérative », zéro déchet. La priorité est donnée aux circuits courts et au réemploi, en particulier dans le secteur de la construction (à lui seul, 40 % des émissions de gaz à effet de serre et 40 % de la consommation d’énergie dans le monde).
Dans nos villes européennes, 90 % du bâti de 2050 est déjà réalisé ! La priorité doit donc être massivement orientée sur la réhabilitation.
- Mobilité douce et lutte contre l’étalement des villes
Le confinement nous a fait découvrir comment les grandes villes stressantes et polluées pouvaient s’apaiser ! Le territoire doit se réorganiser autour de la proximité. Ce qui nous permettra de réduire drastiquement nos déplacements. La ville « zéro voiture » et « 100 % cyclable » ne doit pas rester provisoire.
- Agriculture urbaine
Forêts et fermes urbaines, tours agricoles créent des îlots de fraîcheur. Cette végétalisation intensive du bâti permet aussi de récupérer les eaux de pluie et de favoriser leur phytoépuration. Ramener la nature dans la ville, c’est mieux lutter contre l’imperméabilisation des sols et protéger notre biodiversité.
- L’agilité d’usage
L’hyperspécialisation de certains espaces comme celui du quartier de la Défense, près de Paris, est vouée à l’échec.
La réversibilité, la mutabilité des infrastructures et des bâtiments sont primordiales pour accompagner l’évolution, par exemple, du télétravail, des téléconférences.
Cette mixité doit se retrouver à l’échelle de la ville, du quartier, de l’immeuble. Dans la plupart de nos projets, nous réservons un étage au partage. Cet espace de sociabilisation pourrait, en cas de crise, servir à des mesures de quarantaine ou d’isolement.