En pleine crise de croissance, de sens, et maintenant en pleine crise sanitaire, savons-nous encore rêver collectivement, nous imaginer autres, différents, ailleurs ? Article avec Hors-Site, avec Virginie Speight et Anne-Laure Boursier
La pandémie qui nous touche, et qui touche plus durement les citadins obligés de se confiner dans des espaces plus restreints qu’à la campagne, a-t-elle quelque chose à nous enseigner qui guiderait notre imagination vers la ville de demain ? Première réflexion, inspirée du livre du philosophe Baptiste Morizot « Manières d’être vivant », qui nous dit ceci : « Imaginez cette fable : une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la “nature”. À savoir : non pas des êtres mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde. Cette fiction est notre héritage. Sa violence a contribué aux bouleversements écologiques »1.
Les bouleversements écologiques prennent depuis quelques années différentes formes observables, dont celle de l’épidémie. Aujourd’hui des voix s’élèvent pour pointer du doigt la destruction des écosystèmes comme étant une des causes de la pandémie. En effet, un écosystème en équilibre ne permet pas à une espèce donnée [un virus] de proliférer jusqu’à l’envahissement, au point de détruire une autre espèce [comme cela s’est produit avec les animaux d’élevage touchés par les récentes épizooties ou encore, les humains touchés par le coronavirus].
La ville est un écosystème
Certes nous avons détruit des écosystèmes, mais nous en avons aussi créé : la ville est un écosystème, étudié en tant que telle par de nombreux scientifiques. Arrêtons-nous un instant sur la définition d’un écosystème : « En écologie, un écosystème est un ensemble formé par une communauté d’êtres vivants en interrelation [biocénose] avec son environnement [biotope]. Les composants de l’écosystème développent un dense réseau de dépendances, d’échanges d’énergie, d’informations et de matière permettant le maintien et le développement de la vie […] L’écosystème est un système naturel dynamique.
Avec leurs interactions mutuelles et avec leur biotope, les espèces vivantes transforment l’écosystème qui évolue ainsi avec le temps : il s’agit d’un ensemble dynamique issu d’une coévolution entre la vie et son habitat. S’il tend à évoluer vers un état théorique stable, dit climacique, des événements et des pressions extérieures l’en détournent sans cesse. La biocénose met alors en œuvre ses capacités d’évolution et d’adaptation face au contexte écologique en perpétuel changement. Cette capacité à supporter des impacts sans que cela ne modifie la structure de l’écosystème ou à revenir à l’état antérieur à la suite d’une perturbation est appelée résilience écologique. On parle de régression écologique lorsque le système évolue d’un état initial vers un état moins stable. Un écosystème est sain quand l’ensemble des organismes vivants et des milieux inertes forment un système capable de résilience. »2
Les études de biodiversité urbaine montrent une grande variété de la flore et de la faune dans les villes. Cependant à mes yeux de non spécialiste, cet écosystème qu’est la ville semble être un quasi désert biologique comparé à la jungle amazonienne ou aux récifs coralliens. Il y règne principalement une seule espèce : les humains. Il est vrai que les espèces sont plus variées en ville que dans un élevage intensif de volailles. Toujours est-il que l’écosystème urbain dans son fonctionnement normal n’est pas capable d’arrêter la pandémie sans changer la structure de l’écosystème.
On nous demande donc de rester chez nous, et de cesser les interactions sociales [la biocénose en prend un coup]. Dès lors, on peut se demander si cette biodiversité est « suffisante », c’est-à-dire si la ville est vraiment un écosystème, puisqu’elle n’est pas en mesure de ramener le système à l’équilibre après le déséquilibre créé par le coronavirus.
Deuxième réflexion, inspirée de Philippe Clergeau, professeur d’écologie au Muséum National d’Histoire Naturelle, spécialiste de biodiversité urbaine. Dans une interview au Monde3 il affirme : « Une “ville nature“ est une ville qui n’est plus anthropocentrée, une ville qui accepte le vivant en son sein. L’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de verdir, nous savons le faire, mais de restaurer la biodiversité, c’est-à-dire non seulement la diversité des espèces végétales et animales, mais surtout les relations qu’elles entretiennent entre elles ».
Appel au changement
Ce que nous disent les philosophes, les écologues, et de nombreux scientifiques, c’est que nous devons inventer des solutions radicalement nouvelles afin que les villes deviennent de véritables écosystèmes naturels résilients sans quoi nous revivrons des épisodes de crises dus à des catastrophes, épidémies ou autres, de moins en moins maîtrisables. C’est un appel à un changement de rupture dans notre conception de la ville.
Le philosophe australien Glenn Albrecht dit que nous allons vers des changements tellement radicaux qu’il nous faudra de nouveaux concepts et de nouveaux mots pour en parler. Selon lui, l’ère actuelle, l’anthropocène4, doit céder la place à l’ère suivante, le symbiocène, où l’on favorisera les relations mutuellement bénéfiques entre tous les êtres vivants, en particulier dans les villes puisque c’est là que vit une majorité d’humains. Ces villes réinventées, aux exigences radicalement nouvelles, comment les construirons-nous ?
Ecosystème et révolution Hors-site
Si le "hors-site" tient ses promesses, il devrait permettre une réalisation parfaitement conforme aux spécifications de construction. Parce qu’il devrait nous permettre de construire ou rénover efficacement, dans le respect de la conception la plus exigeante, le hors-site pourrait bien devenir un outil précieux. Mais le hors-site n’est qu’une technique de construction. Comme toute technique, elle n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle n’est pas neutre non plus.
Par son efficacité, elle a le potentiel de transformer les modes d’organisation de la ville, les rapports humains ou encore les rapports avec ce qu’il reste de biodiversité sur notre planète. Pour cela, il faut que le hors-site soit soumis à des fins politiques, qu’il soit assujetti à nos rêves de ville, comme la ville du symbiocène, une ville écosystème qui ne sera pas anthropocentrée. À quoi rêve notre époque ?
Le hors-site ne répond pas à cette question bien sûr. Mais il est en position privilégiée pour nous indiquer comment réaliser nos rêves de ville et agir notablement sur les diverses pollutions qui nous impactent sur et autour des chantiers.
2 fr.wikipedia.org/wiki/Écosystème
3 www.lemonde.fr/smart-cities/article/2020/02/14/ philippe-clergeau-l-urbanisme-doit-pleinement-integrer-labiodiversite_6029626_4811534.html
4 Anthropocène : terme popularisé à la fin du XXe siècle par le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995 et par Eugene Stoermer, biologiste, pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté selon eux à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l’Holocène. Désigne l’époque géologique durant laquelle l’influence de l’être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu’elle est devenue une « force géologique » majeure