photo Claire Nioncel
C’est à l’Opéra Bastille, "lieu emblématique de l’agriculture urbaine" qui accueille sur ses toits 2 500 m2 de maraîchage et de plantations de houblon cultivés par Topager que l’ANRU, avec ses partenaires*, a annoncé ce plan en faveur du développement de l’agriculture urbaine. "La fonction productive, immergée dans un environnement spécifique constitué par les quartiers prioritaires de la politique de la ville en renouvellement urbain, offre un levier d’innovation économique, écologique et sociale nouveau" affirme Nicolas Grivel, directeur de l’Agence. "Le gouvernement, qui tiendra le 5 février un grand événement pour faire un acte très fort dans le développement de la ville durable veut développer le concept de ville nourricière", explique Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, venu appuyer ce lancement à l’Opéra Bastille. L’objectif étant, à terme, "d’avoir une centaine de fermes fertiles" dans ces quartiers, indique le ministre, sans plus de précisions sur les montants alloués.
"Pouvoir demain reproduire du champignon de Paris à Paris (…). Se dire que dans certaines villes de la première couronne, les murs anti-bruit sont des fermes verticales, cela peut avoir du sens. Cela permet d’éviter la bétonisation, de trouver un nouvel usage et de développer des solutions innovantes" insiste Julien Denormandie qui tient à faire mention de sa formation d' "ingénieur agronome à la base" et "passionné d’agriculture depuis toujours".
Plusieurs éditions
Pour cela, plusieurs éditions de l’appel à projets sont prévues, dont le nombre sera déterminé en fonction des réponses reçues », précise Nicolas Grivel. Le premier étant prévu pour juin 2020. En revanche, le ministre n’a pas fait d'annonce quant au budget alloué à cette démarche : "on est encore en discussion sur le montant final qu’on va dédier. Le développement de l’agriculture urbaine sera "un pan essentiel" de cette politique en faveur de la ville durable. "On sera ambitieux, et on se donnera les moyens de cette ambition", promet le ministre.
"Au-delà de la ville durable, il y a celle de la ville nourricière, celle qui permettra demain d’avoir cette durabilité, pas seulement dans l’urbanisme […] mais aussi sur la question de la nutrition", rappelle Julien Denormandie, vantant les "choses extraordinaires qui se passent" en matière d’agriculture urbaine, "nouvelle façon de se rattacher aux territoires".
Travail sur les sujets de société
"Il y a aussi une fonction sociale, de solidarité, entre les territoires", justifie-t-il, allant ainsi dans le sens des échanges de la matinée, au cours d’une table ronde sur "Les quartiers, terres agricoles de demain". Mohamed Gnabaly, directeur de Novaedia et maire de L’Île-Saint-Denis, à l’origine du projet de la "Ferme des possibles" à Stains, en Seine-Saint-Denis affirmait d’ailleurs qu'"à travailler sur l’agriculture urbaine, on travaille sur des sujets de société", au premier rang desquels l’emploi.
Création d’emplois
A Lorient, le projet "Fais pousser ton emploi !" permet par exemple à cinq apprentis maraîchers d’exploiter une micro-ferme urbaine au sein du quartier Bois-du-Château, déclaré d’intérêt national dans le cadre du NPNRU. En dehors du volet insertion professionnelle, le projet vise la commercialisation de paniers de légumes bio, dès le printemps 2020, explique Mégane Le Guennec, qui a choisi de quitter la ferme familiale pour partir cultiver en ville. Grâce au soutien du réseau de Cocagne, les habitants, dont le pouvoir d’achat "n’est pas très élevé auront accès à des produits frais et de qualité.
Rester ancré dans le territoire
Un point sur lequel il faut en effet être vigilant, souligne l’agronome Christine Aubry, directrice de l’équipe de recherche Agricultures urbaines au sein d’AgroParisTech/Inrae. "Attention à ne pas produire des produits de niche qui sortiraient du territoire. Il faut trouver l’innovation qui permet de faire en sorte que la production revienne au moins en partie à ceux qui l’ont faite, ou à la population autour", précise-t-elle, rappelant le "fort taux d’insécurité alimentaire" qui prévaut dans les quartiers populaires.
Autre sujet, le modèle économique de ces projets, que la seule production/vente ne suffit pas à assurer. "Aujourd’hui, c’est la restauration et la distribution qui permettent de couvrir le déficit de l’agriculture urbaine" témoigne Mohamed Gnabaly. "La coopération entre les différents acteurs, qui n’est pas naturelle, va devenir une nécessité. Le nouvel appel à projets va permettre de nous donner le temps de faire mûrir ces réflexions". La démarche doit "aider à passer à l’opérationnel, pour faire que ces projets prennent leur envol, et aider par là même le quartier à avoir une dynamique économique autour de ces projets", précisait d’ailleurs Nicolas Grivel.
"On voit que l’agriculture urbaine procure le renouvellement de liens sociaux" confirme Christine Aubry. "Dans les QPV en particulier, cela peut éviter des coûts sociaux, des incivilités…"
Dans les grands ensembles qui font l’objet du NPNRU, il y a des "milliers de m2 en sous-sols qui ne servent plus à rien, si ce n’est des lieux de trafics qu’on essaie de combattre en parallèle", avance pour sa part Julien Denormandie. "Si demain on fait de la permaculture, de l’aquaponie ou que sais-je à l’intérieur, on transforme profondément la ville."
" On permet un changement d’image de ces quartiers, pour peut-être faire venir d’autres gens. Sans compter la fonction environnementale, directe ou indirecte, avec l’accompagnement des populations, les animations et la dimension pédagogique…"
Attention toutefois à ne pas croire que ces initiatives "vont à elles seules réparer la ville", prévient Christine Aubry.
Fruit des réflexions engagées dans le cadre du groupe** de travail du Club Anru+ dédié à l’agriculture urbaine, qui s’est réuni pendant un an, un guide méthodologique, véritable bible dans le domaine a été élaboré. Une "boîte à outils du montage d’un projet" d’agriculture urbaine dans le contexte particulier du renouvellement urbain. Ce guide méthodologique d’une centaine de pages regroupe des fiches pratiques (portant sur le modèle économique, le montage juridique et foncier, l’écosystème d’acteurs, les questions techniques, et la nature et la biodiversité).
L’appel à projets répond à un "objectif de massification et d’accélération de l’agriculture urbaine sous des formes variées (jardins d’insertion, micro‐fermes urbaines, projets complexes…), qui devra trouver écho dans des projets accompagnant la structuration de filières locales, en s’inscrivant dans une logique productive et marchande, en associant de manière étroite les habitants, ayant un impact positif attendu sur l’environnement". Les projets retenus, qui pourront être à des niveaux d’avancement divers, bénéficieront, selon leurs besoins, d’une aide financière, en subvention et/ou en co‐investissement, pour l’ingénierie de projet (co‐financement des études de faisabilité et des études opérationnelles, mais aussi des dispositifs d’animation du projet), les investissements et les dépenses de personnels. Ils pourront également recevoir un accompagnement technique et opérationnel, collectif ou individuel, concernant le montage et le déploiement de projets d’agriculture urbaine.