Roland Condor, professeur à l'École de Management de Normandie, a publié un article* le 4 octobre dernier, dans The Conversation sur le développement de l'agriculture urbaine, et ses menaces pour son aînée, plus conventionnelle, rurale. Un sujet à fort enjeu et une position controversée : Agri-City.info vous donne son avis.
Roland Condor considère que l'agriculture urbaine, en opposition à l'agriculture rurale et périurbaine, est un nouveau phénomène issu de deux tendances : des citadins en demande d'une agriculture consciente du bien-être animal et des impératifs écologiques de conservation, et d'une population jeune, habile avec la technologie, qui cherche à garantir une autosuffisance alimentaire locale. L'agriculture urbaine est l'affaire de startups high-tech, avec des produits, méthodes et équipements nouveaux, qui s'approprient les villes pour y cultiver en hors-sol et distribuer localement.
Son analyse dépeint des relations frontales entre les agricultures conventionnelle et urbaine. L'auteur y parle de « combat de valeurs », « combat économique », « menaces », et défend la position des agriculteurs ruraux : « l'agriculture rurale (ou périurbaine) n'est pas morte ».
Nous vous proposons ici de mettre en valeur les idées fausses sur lesquelles repose l'argumentation de Roland Condor, et de voir que sa position met en lumière un réel danger, « sociétal » comme il le dit, et qu'un dialogue constructif et à deux sens est plus que jamais nécessaire.
La dérive high-tech de l'agriculture urbaine
« Ce sont surtout les startup de l'agriculture connectée », affirme Roland Condor, « certains projets sont grandioses », en suscitant la peur quand la photo juste en dessous montre des étagères étroites contenant des légumes éclairés par des LED, sans connexion à la terre, mais encerclés d'un gris métallisé, froid et inerte.
Or, l'agriculture urbaine n'est et ne peut se résumer à sa composante high-tech. Bien sûr que certaines initiatives sont ainsi, compte tenu des contraintes environnementales urbaines qui nécessitent l'utilisation de technologies pour cultiver en sous-sol, sur les toits, les façades, et autres surfaces restreintes et confinées.
Mais la ville, il faut le rappeler, est un lieu complexe, pas uniquement bétonné, mais avec des friches industrielles, des cours d'immeubles, des parcs, des bandes vertes à côté des route, etc
Et, ce n'est pas parce qu'un environnement est contraignant que les high-tech sont indispensables. Des solutions low-tech existent et des modèles économiques prennent cela en compte. C'est le cas de La Caverne, ferme de champignons et d'endives installée dans un parking souterrain à Paris 18ème. Mises à part les lumières LED, le site parvient à produire en low-tech des dizaines de tonnes annuellement, et de les distribuer principalement en vélo.
Les circuits courts pour les villes
Oui, la grande majorité des projets d'agricultures urbaines vise l'instauration de circuits courts, pour des raisons écologiques, sociales et parfois économiques. Toutefois, cet engagement n'est pas synonyme d'une recherche d'autosuffisance alimentaire des bassins urbains de consommation.
Le but de l'autosuffisance alimentaire urbaine est inatteignable : comment pourrions-nous cultiver des pommes de terre en villes en quantités rurales ? Aller dans ce sens demanderait, justement, une technologie high-tech très sophistiquée et omniprésente. Plutôt : un grand nombre d'initiatives se concentrent sur les légumes, herbes aromatiques et quelques fruits, car le rendement est plus attractif proportionnellement à l'espace.
Cette image incomplète de l'agriculture urbaine repose aussi sur une distinction nette, sous-entendue par Roland Condor, entre l'urbain et, le rural et le péri-urbain, les derniers appartenant à la ruralité. Dans les faits, il est plutôt question d'un continuum, avec certains lieux périurbains plus proches de l'un que de l'autre, ce qui offre des opportunités différentes selon les territoires. C'est notamment le cas d'Amiens où une poignée d'habitants a crée une ferme péri-urbaine à quelques kilomètres du centre-ville dans les hortillonnages qui traversent la ville.
Une rupture ville-campagne
Nous comprenons la peur des agriculteurs ruraux. Ils ont raison d'avoir peur, de se protéger, mais faut-il tomber dans la méfiance ? L'agri-bashing dont parle Roland Condor est un réel problème. Nous devons protéger nos agriculteurs.
Il y a une certaine jalousie de l'agriculture conventionnelle envers sa con-soeur urbaine, comme le remarque Roland Condor, alors que les subventions et levées de fond pour les agriculteurs urbains sont généreuses. C'est vrai, mais il faut nuancer cela au-delà de la popularité médiatique de l'agriculture urbaine.
Au cœur de cette opposition, il est question d'une « société toujours plus divisée, entre d'un côté des citadins rompus à l'écologie et au digital et de l'autre des populations rurales traditionnelles, en quête d'authenticité », comme souligne justement Roland Condor.
La rupture ville-campagne existe bel et bien, mais elle n'est pas absolue non plus. Ses causes sont multiples, notamment les politiques historiques d'urbanisme scindant toujours plus les deux univers.
Alors, que faut-il faire ? Faut-il prendre cette opposition pour acquise et choisir son camp ? Ou faut-il voir la réalité locale dans sa complexité et montrer qu'il peut y avoir des liens, et une synergie mutuellement valorisante ?
C'est vrai que l'agriculture urbaine vise en partie à répondre à des défauts d'une agriculture très dépendante et spécialisée, en cherchant plus de résilience alimentaire. Mais pour savoir s'il y a un réel « combat de valeurs », il faut d'abord discuter.