L’agriculture urbaine, on en parle beaucoup, mais qu’est-ce que c’est exactement ? Quelle différence avec l’agriculture « classique » ? Quelles différences entre fermes rurales et fermes urbaines ? Un article rélisé par plusieurs chercheurs principalement d'AgroParistech fait le point. Avec humour, ils reprennent le jeu des 7 familles.
Si plusieurs définitions – comme celle du Canadien Luc J.A. Mougeot (2000) et celle des Français Paula Nahmias et Yvon Le Caro (2012) – et plusieurs typologies – comme celles proposées par le Cerema, Exp’AU ou l’IAU – ont été avancées ces dernières années, nous nous référerons ici à la définition de Mougeot, qui définit l’agriculture urbaine comme :
Pour présenter ces formes variées, les auteurs ont choisi de jouer au jeu des sept familles, chaque catégorie d’agriculture urbaine correspondant à un groupe. Nous décrirons pour chacune l’histoire de ses formes anciennes (ancêtres et parents) et celles de ses formes actuelles (enfants).
Plusieurs familles d'agriculture urbaine
- La famille « Pieds dans le sol » :
Famille historique du milieu urbain, celle-ci a bien les pieds sur terre… mais les fermes de cette catégorie subissent aujourd’hui de plein fouet deux problématiques récurrentes : l’accès au foncier et la pollution.
Les parents en constitueraient une déclinaison populaire et commerciale, à l’image des marais du centre de Paris, qui donnèrent au XVIIIe siècle naissance au mot « maraîchage ». Ces maraîchers ont été de grands initiateurs et inventeurs de techniques agricoles encore utilisées aujourd’hui. Pratiquant une agriculture intensive sur de petites surfaces, ils avaient recours aux châssis ou aux cloches en verre pour cultiver plus tôt dans la saison. Le fumier de cheval, alors abondant en ville, ou les boues urbaines faisaient partie des ressources qu’ils utilisaient couramment ; ces usages témoignent des nombreux services rendus à la ville par les maraîchers.
Leur descendance est aujourd’hui multiple et variée. Citons les fermes périurbaines – souvent repoussées à l’extérieur des villes à cause de la densification et de l’hygiénisation urbaines – mais qui continuent à alimenter de leurs productions les citadins, principalement en maraîchage et en petits animaux (poules, œufs, etc.).
Depuis une quinzaine d’années, ces fermes connaissent un regain d’intérêt avec le développement des circuits courts et locaux, on pense ici au réseau des AMAPs. Ces structures occupent généralement quelques hectares chacune. Dès 2010, près de la moitié des fermes françaises productrices de légumes et de miel vendaient en circuit court.
Des exploitations ont toutefois réussi à s’établir ou même (mais c’est plus rare) à survivre à l’intérieur des villes grâce à une diversification de leurs activités.
Certaines assument une fonction sociale, en menant par exemple des actions d’insertion pour les personnes éloignées de l’emploi (comme dans les jardins de l’association Aurore) ; d’autres s’investissent dans la pédagogie (Veni Verdi pour la production maraîchère, Bergers urbains pour le pastoralisme urbain) ou l’événementiel culturel (La ferme du Bonheur).
Les descendants les plus proches des maraîchers d’antan travaillent dans des fermes à fonction productive (comme Perma G’Rennes), situées sur d’anciennes terres agricoles, dans des écoles ou des parcs dotés de surfaces plus ou moins importantes (de quelques centaines de m2 à 1 ou 2 hectares).
- La famille « Tête en l’air »
Une famille nouvelle ? Que nenni, on recensait déjà des terrasses hébergeant des végétaux sur les toits égyptiens, comme en témoignent certaines images du livre Palais et Maisons du Caire, consacré à l’architecture du XIIIe au XVIe siècles. Plus proche de nous, ce sont les ruches qui ont colonisé les toits de nombreux bâtiments publics ou privés, assurant une production de miel urbain.
On observe depuis les années 1980, un intérêt grandissant pour les toitures végétalisées (non productives d’aliments). Aujourd’hui, la descendance « agricole » de cette famille comprend notamment les fermes à visée sociale – que ce soit avec une dimension d’insertion (Culticimes), de pédagogie et d’expérimentation (le toit d’AgroParisTech) ou d’événementiel (Jardins suspendus). On y retrouve aussi des fermes à fonction productive (Aéromate, AgriPolis).
En raison de leur localisation en toiture et du fait que ces surfaces ne sont pas aussi étendues que celles au sol, les fermes « Têtes en l’air » ont des besoins spécifiques. Aujourd’hui, les potagers en toiture peuvent être vus comme une solution face aux problématiques d’accès au foncier et de sols pollués, si bien que dans un nombre croissant de villes d’ailleurs, les nouvelles constructions anticipent leur présence. Néanmoins, de nombreuses questions subsistent, notamment au sujet de leur conception et aux supports de culture utilisés.
- La famille « Verticale »
Se servir des parois pour cultiver, la tâche semble périlleuse et pourtant les murs à pêches de Montreuil étaient mondialement connus au XIXᵉ siècle pour leur production de qualité ; ces fruits étaient exportés jusqu’à la cour du Tsar de Russie. Quant à la vigne, elle se plaît à grimper sur les murets et autres treilles depuis l’Antiquité.
Les murs végétalisés à visée décorative se multiplient depuis les années 1990-2000, dans les musées, les hôpitaux ou sur les grands magasins. Aujourd’hui, on retrouve des murs productifs pour du maraîchage ou du houblon, en accompagnement du développement des micro-brasseries urbaines. Les murs sont aussi utilisés par les fermes événementielles sur les toits. Cette famille reste néanmoins plus discrète que les deux précédentes.
- La famille « Sous cloche »
Les productions sous serre permettent d’étendre la période de production des fruits et légumes. Les nobles auront été les premiers à en profiter, avec les orangeries et les jardins d’hiver. Au XIXe siècle, les serres d’Auteuil et celles du Jardin des plantes seront elles construites pour assurer la conservation des variétés et espèces constituant des collections végétales.
Aujourd’hui, les serres sont toujours très utilisées en agriculture – qui n’a pas entendu parler des immenses productions en Hollande – mais elles s’étendent également en ville à des fins productives, directement au sol (Skygreen) ou sur des immeubles (Les Fermes Lufa, The New Farm). Elles peuvent aussi avoir une fonction pédagogique et expérimentale ou d’insertion et de pédagogie alimentaire (comme à la Cité maraîchère de Romainville).
Une autre forme de serre concerne l’aquaponie, qui allie production maraîchère et élevage de poissons. Cette production peut se faire sur substrat vivant (à pouvoir fertilisant pour les plantes) dans des bacs, mais elle se fait surtout sur substrat neutre, dans des systèmes hydroponiques où l’on apporte, via l’eau, les éléments nécessaires aux plantes (et aux poissons quand il y en a). Cette production fait l’objet d’un projet national de recherche.
- La famille « À l’ombre »
Les ancêtres de cette famille se sont développés en sous-sol, avec les champignonnières et la production d’endives. On les appelle « produits de cave », très répandus en Île-de-France. Les parents ont très peu évolué concernant leurs produits, mais davantage sur les systèmes de production. Leurs enfants ont repris l’affaire familiale en la diversifiant (on pense au système des micro-pousses) et surtout en valorisant les nouveaux déchets organiques de la ville, tel le marc de café. L’orientation est majoritairement productive (Boîte à champignons, La Caverne).Un parent high tech en bâtiment est apparu ces dernières années : ici, tout est contrôlé (lumière, atmosphère…) en s’appuyant sur les progrès réalisés dans la recherche spatiale. Ses enfants ont, de leur côté, adopté des bâtiments déjà existants ou recyclés à partir de containers (Agricool, Farmbox). Cette famille connaît un fort développement dans certains pays où la densité urbaine est intense ou le climat très contraignant. En France, il permet de recoloniser certains espaces, comme des parkings inutilisés, ou de mettre en place des fermes mobiles selon les besoins.
- La famille « Vivement dimanche »
L’ancêtre du jardin individuel a donné naissance aux jardins privés, mais aussi au jardinage de groupe avec les jardins ouvriers de la fin du XIXe siècle. Les enfants de cette famille poursuivent la pratique du jardin privé (balcon, terrasse...) qui peut être très productive et du jardinage en groupe qui rassemble les jardins partagés, familiaux et de multiples expériences hybrides. Si le jardinage privé a une dimension productive, le jardinage de groupe ajoute une dimension sociale et pédagogique à l’expérience.
Cette famille a connu un fort développement depuis le XXe siècle et un intérêt grandissant aujourd’hui, tout particulièrement pour le jardinage de groupe. On compte ainsi plus de 1000 sites de jardins collectifs en Île-de-France, occupant au moins 900 hectares, alors que le maraîchage professionnel n’occupe plus qu’environ 5000 hectares.Il reste aujourd’hui difficile d’obtenir un espace où cultiver en ville ou à ses abords, comme en témoignent les listes d’attente pour accéder à un jardin familial ou partagé.
- La famille « Libre-service »
Portée par des mouvements comme Guerrilla gardening, qui dans les années 1970 aux États-Unis lançait la reconquête du béton par la végétation, cette dernière famille est revendicative, inventive et conquérante.
Elle a donné naissance à une progéniture active qui cherche à mettre en place une production végétale dans les espaces publics pour que chacun puisse en profiter. On y retrouve des mouvements internationaux, comme les Incroyables comestibles, mais aussi des initiatives des villes elles-mêmes (permis de végétaliser, réintroduction d’arbres fruitiers dans les parcs). Si cette famille demeure encore modeste, son avenir semble radieux à mesure que les collectivités s’emparent de ses idées.