photo pépinière Chatelain

Dans une tribune parue dans La Tribune du 5 mai 2020, Philippe Mayol, directeur général de la fondation Terre Solidaire
nous livre ses réflexions, quelques jours avant le déconfinement fixé au 11 mai 2020. Il évoque en particulier la transition agricole. "Rendre plus favorable l'installation de nouveaux agriculteurs et redonner la possibilité de vivre correctement de ce métier sont deux défis que doit relever la société".


" Depuis quelques semaines, la France et le monde sont confrontés à une crise sans précédent due à la pandémie du Covid-19. Cette situation, totalement inédite, met en exergue les limites de notre modèle de développement. Un modèle qui s’apparente à un colosse aux pieds d’argile et qui s’étiole au fil des soubresauts économiques et chocs sociaux. De multiples analyses ou constats fleurissent, ici-et-là, sur les carences du système mais il apparaît nécessaire d’aller cette fois plus loin pour les combler. 


"Cette période a fait naître des nouvelles formes de solidarité et aussi renforcé certains modes de consommation. Face aux risques de contagion, aux restrictions de déplacement et aux services de livraison saturés, nombreux sont ceux qui se sont tournés vers des circuits courts, soit directement auprès des producteurs ou via des commerces de proximité. Des initiatives d'entraide entre voisins apparaissent également pour aller faire les courses à la place de ceux qui ne le peuvent pas. Un élan collectif qui doit impérativement être entretenu par des actions concrètes de terrain qui bouleverseront, à terme, notre mode de vie à grande échelle pour construire un avenir durable.

 

Enfin une (réelle) prise de conscience de l'ensemble de la société ?


La situation actuelle a fait office d'électrochoc pour nombre de citoyens. Elle fait rejaillir l'importance de biens communs comme la santé ou l'alimentation et de valeurs essentielles, presque basiques, comme les liens interpersonnels et la solidarité. Cette crise se pose également comme un révélateur et un accélérateur des inégalités territoriales et sociales.

Mais qu'en sera-t-il "des jours d'après" ? La vie normale reprendra-t-elle son cours ? Ces solutions de dépannage ont-elles vocation à se transformer en véritables alternatives à nos modes de consommation et de vivre ensemble ?

 

 Bruno Latour, philosophe et sociologue : "Si on ne profite pas
de cette situation incroyable pour changer, c'est gâcher une crise"

 

C'est une opportunité presque inespérée de prendre enfin le temps de combler les fossés qui se sont creusés non seulement entre les citoyens mais aussi entre nos sociétés et notre environnement naturel.

 

Une transition écologique s'appuyant massivement sur les initiatives citoyennes qui existent déjà sur le terrain
Valoriser les initiatives locales citoyennes et écologiquement responsables, redonner du sens au terme « proximité », paraît plus fondamental que jamais, tout comme fournir les moyens nécessaires aux acteurs concernés pour amplifier leurs démarches. Forts de leurs expériences et de l'impact social qu'elles ont déjà sur leurs territoires, ces initiatives citoyennes sont autant de points d'appui sur lesquels se baser pour accélérer la rupture avec notre modèle actuel de développement.

La crise du Covid-19 a souligné, entre autre, la fragilité de nos circuits alimentaires et notre dépendance au système alimentaire actuel très mondialisé. Ainsi, parmi les leviers à activer, il y a celui du redéploiement d'une agriculture paysanne de proximité et biologique en capacité à la fois de nourrir durablement nos sociétés et de répondre aux défis sociaux, climatique et écologique.

Pour ce faire, rendre plus favorable l'installation de nouveaux agriculteurs et redonner la possibilité de vivre correctement de ce métier sont deux défis que doit relever la société. À l'heure où la question du remplacement de nombreux agriculteurs proches de l'âge la retraite se pose, la nécessité de transmettre peut être une formidable opportunité pour la transition agricole.

 

 "La relance devra tirer l'agriculture française vers le haut" (Arnaud Gauffier, WWF France)

 

L'enjeu est également que cette transition agricole puisse nourrir durablement et sainement tous les habitants de la planète. C'est ce à quoi contribue, à l'échelle européenne, le projet de recherche mené par l'IDDRI et le bureau d'études AScA (scénario TYFA - Ten Years For Agroecology). Ainsi, selon leurs conclusions, il est envisageable de nourrir durablement 530 millions d'Européens en 2050 grâce à la généralisation de l'agroécologie.

Il est aussi primordial que cette agriculture de proximité puisse s'adapter aux conséquences des changements climatiques en cours. Redécouvrir les vertus de variétés culturales plus résistantes mais oubliées par l'agri-industrie est un défi majeur que relève, notamment, l'ARDEAR en Auvergne et Rhône-Alpes en accompagnant les dynamiques autour de la promotion et valorisation des semences paysannes.

Cette capacité à changer nos habitudes et à engager une transition écologique et solidaire doit s'appuyer sur le collectif et non uniquement sur l'individuel.
Que nous soyons simple citoyen, décideur politique ou économique, ces initiatives doivent nous inspirer et être encouragées pour ensuite faire système.

 

Soutiens : Anciela, Fondation Amar Y Servir, ARDEAR Auvergne-Rhône-Alpes (Association Régionale pour le Développement de l'Emploi Agricole et Rural), Atelier d'Architecture Autogérée (AAA) - R-Urban, Fondation Celsius, CERAS (Centre de Recherche et d'Actions Sociales), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme (FPH)

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